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vers les adversaires de l’Empire. Son hésitation à rentrer en grâce quand le Régent lui offrit la vice-royauté des deux Hou, le commandement suprême des troupes impériales avec le droit de choisir ses généraux, semblait donner raison aux méfians. Non moins subtil que le prince Choun, Yuan-Chi-Kaï invoquait maintenant le symbolique abcès au pied, prétexte diplomatique de sa disgrâce, pour différer sa réponse ; le mal, à peine en voie de guérison, ne lui permettait pas de s’exposer aux fatigues d’un voyage d’hiver. En réalité, pouvant être le premier chez les rebelles, il attendait, pour se décider, la dernière enchère du gouvernement impérial. Il n’attendit pas longtemps. Aux yeux des groupes anglais, français, allemands et américains que le Régent avait pressentis en vue d’un emprunt, Yuan-Chi-Kaï était l’homme indispensable. Le clan réactionnaire dut céder. Le Sénat, réuni en session régulière depuis le 22 octobre, finit par triompher des résistances et de l’antipathie du Régent. Yuan-Chi-Kaï, dont les amis avaient fait vigoureusement campagne en sa faveur, était appelé par le choix de l’Assemblée à la présidence du Conseil des ministres ; l’autorité que lui donnait une Constitution rédigée, adoptée en toute hâte, le transformait en dictateur.

Il prit la route de Pékin, mais, tout en la suivant, il se demandait s’il ne ferait pas mieux d’aller vers le Sud. Dans son indécision temporisatrice, il différait de se déterminer à être le sauveur de la monarchie ou le chef acclamé d’une république populaire. Enfin, il choisit le premier rôle, par esprit chevaleresque, ou par calcul, ou par un pressentiment vague de l’impuissance finale des révoltés. Le 13 novembre, il arrivait à Pékin, trop tard peut-être pour réparer les fautes déjà accumulées. Il risquait sa réputation d’énergie et de finesse politique au service d’un trône vermoulu, d’institutions croulantes dans une lutte fratricide. Peut-être a-t-il vu dans le bloc républicain, si solide en apparence, une fissure suffisante où la corruption, l’adresse, la patience feraient leur œuvre naturelle de désagrégation, si familière aux diplomates chinois. Peut-être encore, trompant les pronostics fondés sur son apparente irrésolution, a-t-il médité de se révéler à son jour comme le pacificateur des partis. Quoi qu’il en soit, Yuan-Chi-Kaï apparaissait alors comme le maître de l’heure. Mais il lui manquait les moyens d’action efficaces, les collaborations dévouées, sans lesquelles son loyalisme et ses