Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/269

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Surpris pur le ton solennel de cet Anglais à favoris de blond clergyman, je le suivis, et d’abord dus m’inscrire sur le registre des voyageurs.

— Fastidieuse formalité ! fit-il ; mais grâce à Mlle Diva, la police m’est devenue tracassière.

— Ne me retenez pas trop longtemps ; je meurs de faim.

— Aob ! Bon appétit : belle santé ! Votre dîner est prêt. La princesse vous a fait cuisiner par le nègre, son chef, un menu de haut goût. Festin de Balthazar, indeed ! soupe à la tortue et welsh rarebit, Port-vvine et barolo ! Je vous recommande surtout certain sherry, retour des Indes. Capital ! Un nectar pour le palais des noblemen !

Il fit claquer sa langue, puis exhalant un soupir :

— Ah ! monsieur, Mlle Diva sait fort bien soigner les grands hommes, tandis que nous autres, pauvre peuple, elle nous malmène... Tis a pity !

— La signora, m’a-t-il semblé, n’est pas très populaire chez vos contadins.

— Ils l’abominent. Quand cette princesse de carnaval se risque hors de la Sirena, nos paysans l’invectivent : hier encore, ils ont jeté des pierres sur sa voiture.

— Pourtant, elle m’a paru aimable...

— Aimable ?... Un monstre, vrai démon d’égoïsme, d’insolence, de perversité ! Gog et Magog se sont logés dans le corps de cette femme ! Jamais elle ne daigne adresser la parole aux petites gens. On les éclabousse, on les renverse, on les écrase. La semaine dernière, l’équipage à livrée bleu-ciel a culbuté une fillette. Tout autre que cette Diva serait descendu pour savoir si la pauvrette avait été blessée. Mais non : Avanti ! Avanti ! et la belle madame a poursuivi son chemin. Dure, très dure ! Ni secours aux malades, ni la moindre aumône à ceux qui ont faim ; même notre sultane a dressé deux molosses pour faire dévorer les mendians. Prenez garde à ces chiens, monsieur ; ils vaguent, toute la nuit, dans le parc, et sont féroces... Maintenant j’en arrive à l’objet de notre conversation.

Aussi majestueux qu’un speaker des Communes s’asseyant sur le sac de laine, M. Sullivan prit une chaise, et alors pesant chacun de ses mots :

— Connaissez-vous depuis longtemps cette princesse Campofiori ?