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— Un thaumaturge ! Vos médecins et vos vétérinaires doivent l’abominer.

— Ils voudraient le pendre ; mais comment le saisir ? Le gaillard a le don de l’ubiquité. Le voit-on à Sorrente ? C’est qu’il se trouve à la Campanella. L’aperçoit-on dans sa cellule ? c’est qu’alors il se promène à Capri. Nos paysans prétendent que le corps du saint homme est une apparence humaine, émanation divine, et qu’il peut se dédoubler.

— Pourquoi les religieux de son Ordre n’imposent-ils pas silence à de tels racontages ?

— On les a dispersés, et le couvent de la Campanella subit les formalités du séquestre. Il n’est habité que par trois vieillards infirmes dont notre personnage est le supérieur... Et puis, entre nous, un pareil faiseur de merveilles vaut la poule aux œufs d’or. MM. les porte-cuculle se garderaient bien de démolir si lucrative légende.

— Eux, je les comprends, mais la police ?... Elle tolère les pratiques de ce charlatan ?

— La police est trop prudente ; peut-être a-t-elle peur de gros ennuis. Ce « frataccio » qui, d’ailleurs, soigne et guérit gratis agit en maître dans nos campagnes. Les contadins le vénèrent à l’égal d’un fétiche ; si le gendarme touchait à si sacro-sainte personne, nous aurions une émeute.

— Une émeute !

— Tout comme en Sicile ou dans votre Bretagne... Oui, monsieur, un fétiche ! On ne pose pas la main sur les objets tabou... Tenez, vous allez entendre le plus dévot de ses séides célébrer notre Vieux de la Montagne.. Cecco ! Eh ! l’ami ! Est-il vrai que le padre accomplit des prodiges ?

— Il chasse les démons, répliqua Francesco, d’une voix convaincue, mais menaçante.

— Qu’appelles-tu démons, imbécile ?

— Ne faites pas ainsi le païen : Vous ne m’en imposerez pas !... Les démons ressemblent à celle que vous savez.

— Nomme-la donc, si tu l’oses !

— La femme du Palazzo Sirena.

— Elle te fournit ton pain, misérable.

-— Son pain m’est trop amer : je ne veux plus le manger. Sant’Angiolo éclata de rire :

— Ignorant ! Lazzarone ! Produit de la Chiaia !... Moi, monsieur