Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/254

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mot : CAMPOFIORI ! Çà et là, se voyait aussi le portrait enluminé de Diva. Vêtue d’une robe très décolletée, sa couronne à fleurons sur la tête, la princesse était cyniquement exhibée aux regards des passans, matelots du port, ouvriers de l’Arsenal. Mais partout de grossiers lazzi, d’intraduisibles quolibets, de la boue, des ordures souillaient l’image de la cantatrice ; des hommes s’arrêtaient pour lui montrer le poing, des femmes crachaient par terre, avec des imprécations : un séminariste à bas violets fit un signe de croix.

Mon voisin avait ajusté son monocle et critiquait :

— Mauvais lancement !... Réclame inintelligente ! L’imprésario ne sait pas son métier.

— Serait-ce vrai ? demandai-je... La princesse va reparaître sur la scène ?

— Dans un mois... Evénement artistique !... Immense, monsieur !... Toute une révolution dans les mœurs !

— Qu’en dit la famille des Campofiori ?

— Abomination de la désolation ; elle s’enrage... Pensez donc : cinq archevêques et trois cardinaux parmi les nobles ancêtres !

— Quelle sorte d’homme était le prince Gaétan ?

— Un homme, ça ? Non, un fantoche. Petit, malingre, souffreteux, avec des cheveux d’albinos, des yeux couleur de porcelaine, du sang de navet ! Il manquait de prestige.

Sant’Angiolo fit bomber sa superbe taille, étira ses moustaches, et son regard de triomphateur me disait clairement : « Comparez ! »

— Pourquoi s’est-il tué ?

— Peuh ! Chi lo sa ?... Sans doute, une œillade ironique de sa femme, l’éclair de quelque sourire méprisant !... Il balen del suo sorriso... Ah ! ce sourire, monsieur !... Un matin, on ramassa le Gaétan, ensanglanté, râlant, l’imbécile ! devant la porte de la chambre conjugale ! Il s’était coupé la gorge avec un rasoir. Notre princesse dormait son sommeil d’innocence : « Dormi pure, dormi contenta... « A son réveil, quand on lui annonça l’aventure, elle se mit encore à sourire.

— Douloureuse histoire !

— Epouvantable !... Ne trouvez-vous pas, illustre maître, que le directeur de San-Carlo manque de sens artistique ? Il aurait dû costumer tout autrement notre chère Diva.