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Langage soigné, épithète choisie : on l’eût pris pour un ambassadeur. Je m’inclinai.

— Notre belle princesse, poursuivit-il, m’a délégué pour vous recevoir. Elle aurait voulu loger dans son palais votre glorieuse personne ; mais de trop nombreux amis en occupent toutes les chambres. Aussi nous vous avons retenu un appartement à La Cocoumella... Auberge magnifique, monsieur : un ancien couvent de jésuites !

— Les bons Pères savaient se bien traiter... Va donc pour votre couvent !

— Permettez-moi, maintenant, de présenter mon humble individu. Son nom est moins fameux que le vôtre ; il est connu, pourtant : Angelo di Sant’Angiolo, le baryton.

— Artiste, à San-Carlo ?

— Non... « J’ai longtemps parcouru le monde. » Mais le monde, rois ou républiques, m’a bien compris.

Et tout en bourdonnant les premières notes du grand air de Joconde, il me désignait la rutilante rosette, parure de son veston blanc. Enfin, aussi majestueux qu’un Louis XIV montant en carrosse, M. di Sant’Angiolo prit place à mes côtés.

Drive away, Benedetto ! cria-t-il..., démarre, animal : quickly ; subito ; vite et vite ! Nous sommes en retard.

Trois langues différentes dans la même phrase ? Quel polyglotte !... A quel diable de pays pouvait-il appartenir ? Ce teint bistré, ces lèvres avançantes, ces cheveux trop crépus n’étaient certes pas d’un Italien. Fort beau mâle, néanmoins !

Ainsi malmené, Benedetto, le cocher, grommela une incagade... « Subito, vite et vite !... » Il mit ses chevaux au pas.


XIV. M. DI SANT’ANGIOLO

Et lentement, d’une allure de procession, la calèche traversait les rues de Castellamare. Par instans, Benedetto reluquait l’amateur de vermouth, et narquois, son œil lui voulait dire : « Hein ? comme on obéit à tes ordres ! » Un dispetto ! Mais Sant’Angiolo jouait l’indifférence ; il avait allumé un infect virginia, poussait dans l’air d’acres spirales de fumée, m’empestait de son tabac.

Dans le square Principe Umberto s’étalaient de nombreuses affiches qui, rouges, vertes ou jaunes, ne contenaient qu’un