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C’est probablement la partie du volume la plus actuelle qui attirera le plus grand nombre de lecteurs : l’historique de la ligue de la « Patrie française, » les dessous de l’alliance russe, une conversation avec M. Constans, le jour qu’il fit arrêter le duc d’Orléans, etc. Pour moi, je goûte surtout les pages qui évoquent des souvenirs plus lointains et font revivre une société disparue. M. Arthur Meyer est de ceux qui ne se lassent pas de regretter la politesse et le raffinement de cette société. Justement voici quatre pages consacrées à dénombrer et passer en revue les jeunes élégans de ce temps-là Quels étaient donc les divertissemens ordinaires de cette jeunesse dorée, — du moins ceux que l’on peut dire ? On commençait par aller voir Mlle Rigolboche dans son numéro sensationnel, le Grand Écart ; puis on se répandait, durant les entr’actes, dans les loges des fameuses demi-mondaines, dont chacun était, avait été, ou allait être le protecteur. La petite fête s’achève dans une échoppe à l’aspect minable, où, par une aimable ironie, se danse la polka des Dindons. « Sur une plaque de tôle, chauffée à blanc, apparaissent quatre dindons. Les malheureuses bêtes, pour échapper au contact qui les brûle, lèvent une patte, puis la laissent retomber pour relever l’autre, et ce sont des contorsions et des petits cris jusqu’à ce que le barnum, pour ne pas ruiner son matériel, ralentisse et éteigne le feu. Ce petit jeu, d’une férocité relative, suffit à chatouiller dans leur épiderme ces jeunes gens, les derniers qui aient connu la joie de vivre... » Certes je plains une jeunesse qui ignore la joie de vivre. Mais j’ai mon opinion faite sur celle qui demandait ses joies au Cancan de Mlle Rigolboche et à la polka des Dindons.

L’auteur de Ce que je peux dire se plaît à reconstituer les décors d’autrefois, depuis le boulevard du Crime et les redoutes d’Arsène Houssaye jusqu’au cabaret artistique du Chat Noir. Les anecdotes foisonnent dans son livre. Et on ne cesse de saluer au passage les célébrités, depuis Sainte-Beuve et Dumas fils jusqu’à nos plus notoires contemporains. L’index des noms cités ne remplit pas moins de vingt pages. Ce groupement de figures toutes connues, mais qu’on ne s’attendait pas toujours à reconnaître ensemble, fait un peu songer à ces compositions ingénieuses où le peintre s’est appliqué à réunir le plus grand nombre possible de notabilités parisiennes, qui s’y pressent et s’y serrent, dans le cadre d’un soir de première, ou dans l’apothéose d’un retour des courses.

Il va sans dire que la figure à laquelle on revient sans cesse est celle du personnage central, de la femme que son biographe, dans la