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toute exploitation maritime et la sécurité même des navires. Ce n’est pas en mer, ce n’est pas au plein danger qu’on peut admettre une déclaration de grève.

Ceci touche à la définition de la discipline. L’enregistrement du contrat de louage devant un fonctionnaire qualifié : agent de l’Inscription maritime en France, bureau des gens de mer en Allemagne, donne et doit donner aux obligations contractées de part et d’autre un caractère particulier, que ne leur conférerait pas un simple acte notarié. Celui-ci n’aurait pour sanction que des compensations pécuniaires poursuivies devant les tribunaux civils : le contrat de travail maritime crée le lien de discipline ; il oblige à l’obéissance professionnelle sous peine de punitions légitimes et de condamnations pénales.

Ce régime est justifié par la nature des choses. Ce qui fait la difficulté du problème du personnel salarié dans la marine, c’est l’étendue et la force des responsabilités. Ici, d’une façon générale, la vie de tous est, sans cesse, entre les mains de chacun. Les conséquences d’une faute professionnelle, d’un manque à l’obéissance, ne sont pas seulement d’ordre économique mais d’ordre vital ; elles menacent, avec la prospérité du patron, l’existence de l’équipage et des passagers. Cette situation particulière ne se retrouve dans l’industrie terrienne qu’en certains cas exceptionnels et pour des isolés. Que l’avenir y multiplie et groupe ces hautes responsabilités, et peut-être devra-t-on là aussi imiter les règles indispensables de la discipline maritime.

Vis-à-vis des marins, ces règles demeurent d’autant plus nécessaires qu’à de si redoutables possibilités ne correspondent encore que des âmes frustes, façonnées par le dur métier de la pêche. Pour se tenir par soi seul à hauteur des responsabilités, il faut une intensité de conscience, un développement mental à défaut desquels la contrainte extérieure s’impose. C’est parce qu’ils sont des esprits simples, à mœurs rudes, que les marins ont besoin de discipline.

Et c’est aussi pourquoi, peu capables encore de se diriger eux-mêmes, ils se soumettent à l’action des meneurs, et passent facilement à la violence. Elargir le cercle du recrutement et en relever le niveau moyen, ce sera faciliter les relations de l’armement avec son personnel, aussi bien à terre qu’à bord, et permettre d’adoucir en quelques points le code disciplinaire ; mais on ne saurait l’abolir. Notons d’ailleurs que, résultant des nécessités