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déguise les difficultés sans les résoudre. A vrai dire, ne laisser à la morale qu’une objectivité sociale, c’est précisément lui enlever son objectivité interne et spécifique.

Les sociologues pourraient admettre, en raisonnant comme ils le font, et ils admettent en effet une réalité religieuse, composée de tous les faits religieux reliés entre eux, parmi lesquels se trouvent ce qu’on pourrait appeler le « fait mahométan, » le fait bouddhiste. Mais ils auraient beau nous dire, comme pour la morale : « La religion mahométane « n’a pas plus besoin d’être fondée que la nature... Toutes deux ont une existence de fait… et leur objectivité ne peut être contestée ; » nous leur répondrions que le terme religion est un mot général, désignant un ensemble de croyances, de mystères et de rites, peu comparables à la nature, depuis les sacrifices à Moloch jusqu’aux cérémonies des Mormons, Et nous demanderions si, pour se faire mahométan plutôt que bouddhiste, il n’est pas besoin de fondemens, c’est-à-dire de raisons commandant l’adhésion intellectuelle et volontaire. Ces raisons seront ou des faits historiques vraiment établis, ou un système d’idées philosophiques et morales, de sentimens relatifs à ces idées, etc. Le tout devra être soumis à une critique attentive, et personne ne se retranchera derrière des affirmations aussi imprécises que celle-ci : La religion n’a pas besoin d’être fondée, ou, plus particulièrement, le mahométisme n’a pas besoin d’être fondé, puisqu’il existe hors de nous. Toute religion, encore une fois, est une réalité « objective, » en ce sens qu’elle est l’expression d’une collectivité sociale, de ses besoins d’union, des idées par lesquelles et dans lesquelles ses membres s’unissent ; mais s’ensuit-il que le mahométisme ou le bouddhisme soient objectifs autrement que comme ensembles de faits sociaux ? Ne reste-t-il pas à savoir si Mahomet ou Bouddha ont réellement opéré tels ou tels miracles et si le surnaturel auquel ils ont cru est vraiment objectif, et même naturel ? Toute l’histoire des mœurs et institutions religieuses remplacera-t-elle la critique directe et scientifique ? Mœurs et institutions, à elles seules, ne sont pas plus la religion et la morale que l’Arc de Triomphe de l’Etoile n’est le génie de Napoléon,