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La Loggetta reçut d’abord un emploi en rapport avec sa valeur artistique. Elle servit de lieu de réunion aux assemblées de la noblesse. Puis, on y enferma les gardes pendant les séances du Grand Conseil. Ce changement de destination l’ut si peu favorable au petit monument, qu’on finit par le fermer et le laisser sans usage, comme un bibelot de prix. De nos jours, on n’en ouvrait plus la grille (horresco referens) que le samedi, pour le tirage du Lotto gouvernemental. Poussées par la cupidité, les commères de Venise rôdaient à l’entour, avec une impatience manifeste, une hâte fébrile, interpellant les employés pour tâcher d’obtenir, avant l’affichage, la primeur de l’arrêt du sort et constater une fois encore que le quaterne leur faisait faccia faruccia. Les six autres jours de la semaine, sous la lente ondulation des oriflammes hissées aux trois mâts gigantesques, les gondoliers sans emploi, les débitans de limonade, les marchands de maïs et les vols de pigeons se groupaient pittoresquement au pied de la grille de Sansovino fermée à double tour.

Le 22 juillet 1902, un premier chaland bondé de débris quitta la Piazzetta pour aller déverser son chargement en pleine mer : nombre d’artistes assistaient au départ de ces restes vénérables, de cette poussière de chaux blanche, d’où émergeaient des briques timbrées au nom d’Antonin le Pieux.

Le déblaiement terminé, on s’occupa des fondations, mais avec une lenteur extrême. On marchait dans la nuit et les architectes hésitaient à endosser la responsabilité des travaux. D’accord avec le ministre des Beaux-Arts, la municipalité avait désigné l’architecte Beltrami. A peine en fonction, celui-ci démissionna « pour raison de santé. » D’où premier embarras, suivi de plusieurs autres.

Bientôt, un vaste trou béant remplaça le cône de débris et les chocs répétés du mouton réveillèrent les échos de la Place. On consolidait la zone des fondations en enfonçant dans le sol 3 000 pilotis (une véritable forêt), mesurant 0m, 21 de diamètre et 4 mètres de long. En opérant ce travail, on doubla la superficie de la base, en la portant à 800 mètres carrés. Elle supportera facilement désormais un poids de 16 millions de kilogrammes, deux fois égal à celui de la nouvelle tour (8 900 000 kil., 1 1 00 000 kilogrammes de moins que l’ancienne). En même temps, on restaurait les statues et les bas-reliefs de la Loggetta.

Le 25 avril 1903, sous la présidence du comte de Turin