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marins, avant de prendre la mer, ne manquaient point d’interroger l’ange. Regardait-il l’Adriatique ? C’était, en perspective, l’étouffant sirocco, la grosse houle du Sud-Est, qui part de la côte africaine, enfile le canal d’Otrante et monte jusqu’à Venise ; les voiles plates choquant les mâts au roulis, et, parfois, la tempête soudaine comme un coup de fouet. Donc, « veiller au grain » et ne pas se laisser surprendre par le « frisement » particulier de la mer, avant-coureur de la brise qui arrive sur vous plus vite qu’un cheval au galop. L’ange tourné vers le Nord, c’était signe de « bora, » et alors, attention ! Deux ris dans les voiles avant de partir. Songez que, suivant une ancienne coutume, dès que se lève ce mistral adriatique, les autorités des ports font élonger des cordes le long des rues pour empêcher les passans d’être renversés par ses rafales pesantes.

Des torrens d’encre ont coulé pour exprimer le chagrin du monde à la suite de la disparition du « campanile. » « Dans le Nord lointain, écrivait le Fremdenblatt, au milieu des fêtes de la cour scintillante de Pétersbourg, le roi d’Italie reçoit la nouvelle de la catastrophe. C’est une goutte d’amertume qui tombe dans son verre... Venise, disait Gœthe, ne peut se comparer qu’à elle-même. Elle a sa place marquée parmi les plus précieux joyaux de la terre. Venise n’a point besoin d’une fontaine de Trevi, où l’étranger boive le désir du retour, parce que tant que nous vivrons, son image ne pâlira jamais dans notre esprit. On pourra reconstruire le campanile, peut-être même la Loggetta de Sansovino ; mais l’escalier sans marches, que gravirent Bonaparte et Byron, a disparu pour toujours. »

Les alliés allemands se distinguèrent par leur ton dédaigneux et l’âpreté de leurs critiques. M. Wagner, nous l’avons vu, s’est prononcé contre la reconstruction du campanile. Si pourtant, ajoute-t-il, on se décide à le relever, il faudrait le rétablir en style moderne, d’autant plus que Venise représente tous les genres d’architecture. Cet article a soulevé en Italie d’énergiques protestations.

Le Berliner Tageblatt renchérit : < Depuis que le ministre italien de l’Instruction publique a lancé par le télégraphe l’ordre enfantin de reconstruire immédiatement le campanile de Saint-Marc, l’Italie semble considérer cette restitution comme une opération très simple. Au contraire, les étrangers estiment que ce travail présentera de sérieuses difficultés. Car, en somme,