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mais déjà le jeune talent de Marcel Lautrem annonçait un maître musicien. Et cependant je jugeais maladive l’œuvre de ce névrosé ; son mysticisme « néo-chrétien » y était d’une indécence aussi païenne qu’un libertinage d’Apulée, et la révolte d’un cœur en détresse semblait s’y débattre sous l’étreinte d’une indomptable passion... « Paladin de l’Ame ? » Non, pauvre garçon ! Toi aussi, — je l’avais deviné, camarade, — tu aimais, en t’indignant d’aimer ; l’aiguillon du péché tourmentait ton être, et la « Voix de l’Abîme » t’appelait menaçante, o naïf détracteur de la Femme !


II. — LA SIRÈNE

Le rideau se releva, et plus solennel qu’un archimandrite, le frère-cordon Lazare marcha vers l’avant-scène :

— Mesdames et messieurs, le drame lyrique et symboliste que nous avons eu l’honneur de représenter devant vous est l’œuvre de M. Marcellus.

Quelques bravos saluèrent le nom de mon ami ; les glabres décadens, les mignons esthètes applaudirent à doigts gantés ; mais des murmures, des « chut ! » même des sifflets étouffèrent bien vite ce trop discret enthousiasme. Et aussitôt, une clameur monta dans la salle : « Diva ! Diva ! Diva ! !... » On demandait la Sirène.

Lazare rentra dans les coulisses, puis reparut, tenant sa camarade par la main. Elle se dégagea brusquement, et seule, à pas nonchalans, alla se camper devant la rampe. Alors, pendant plusieurs minutes, ce furent des hourrahs, des bouquets, des couronnes, des gerbes de fleurs : la pièce venait de s’effondrer en une chute lamentable ; mais sur ses débris Mlle Diva triomphait, et peu modestement.


Durant les trois actes de l’interminable mystère, je l’avais longuement étudiée. Elle m’intriguait... Diva ?... Quel était ce nom mythologique et prétentieux ? D’où venait-elle ? Sur quel théâtre l’avait-on déjà entendue ? J’avais beau interroger mes souvenirs ; ils ne m’apprenaient rien... Diva ?... Fort jolie pécheresse, au demeurant, cette « fille de l’onde amère et du gouffre azuré ; » mais ignorant par trop le couturier et la corsetière, la décence, voire le simple respect de soi-même !