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dans quelles conditions et avec quel succès ils l’ont réalisée.

L’histoire nous montre que les grandes choses sont souvent l’œuvre des minorités énergiques. L’élan a été donné par Jules Ferry et les premiers succès sont dus à sa ténacité ; soutenu par un petit nombre de « coloniaux » résolus, il a été obligé, et ce fut son grand mérite, de faire accepter la politique coloniale à ses amis et de l’imposer à ses adversaires. Quand il tomba, dans la panique parlementaire de Lang-Son, l’essentiel était fait ; le recul était devenu impossible. Jules Ferry est le premier qui ait précisé et défini la politique coloniale. Elle n’est pas une politique d’aventures ; elle se rattache à toute notre histoire ; elle est « pour la France moderne un legs du passé et une réserve pour l’avenir. »... « Dans cette sorte d’affaires, les événemens nous conduisent bien plus que nous ne les conduisons... Mais... il y a un choix à faire et il convient de considérer, avant toutes choses, d’une part, l’utilité des acquisitions nouvelles, et, d’autre part, l’état de nos ressources. » On doit sérier les questions, selon la formule de Gambetta, faire la part du présent et celle de l’avenir, ne pas laisser échapper des occasions qui ne se retrouveront peut-être plus, agir cependant avec prudence pour éviter d’engager des forces trop considérables sur plusieurs points à la fois. Et comme il faut, aux doctrinaires dont une assemblée française n’est jamais dépourvue, des argumens d’allure philosophique, Jules Ferry esquisse une théorie des droits des races supérieures. « Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures... Je répète, qu’il y a, pour les races supérieures, un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » Cette politique, prudemment conduite, ne doit pas, ne peut pas amener un affaiblissement de la France, au contraire ; elle ne fait aucun tort à nos grandes préoccupations continentales. Dans la péroraison de son vigoureux discours du 28 juillet 1885, à propos des affaires de Madagascar, Jules Ferry s’explique, en termes définitifs, sur ce point qui préoccupait toutes les consciences. A M. Camille Pelletan, qui avait dit que « la politique coloniale est un système qui consiste à chercher des compensations en Orient à la réserve et au recueillement qui nous sont actuellement imposés en Europe, » Jules Ferry répond :


Je n’aime pas ce mot de compensations et, en effet, non pas ici sans doute, mais ailleurs, on en a pu faire un emploi souvent perfide. Si l’on