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Les grandes réparations peuvent sortir du droit ; nous ou nos enfans nous pouvons les espérer, car l’avenir n’est interdit à personne.

... Ce n’est pas un esprit belliqueux qui anime et dicte ce culte (de l’armée), c’est la nécessité, quand on a vu la France si bas, de la relever afin qu’elle reprenne sa place dans le monde.

Si nos cœurs battent, c’est pour ce but et non pour la recherche d’un idéal sanglant ; c’est pour que ce qui reste de la France nous reste entier ; c’est pour que nous puissions compter sur l’avenir et savoir s’il y a, dans les choses d’ici-bas, une justice immanente qui vient à son jour et à son heure.


Dans une réunion publique, le 12 août 1881, à l’Élysée-Ménilmontant, c’est la même note, plus précise, plus caractéristique encore.


A la politique extérieure, je ne demande qu’une chose, c’est d’être digne et ferme, c’est de se maintenir les mains libres et les mains nettes ; c’est de ne choisir personne dans le concert européen et d’être bien également avec tout le monde ; c’est de considérer la France non pas comme isolée, mais comme parfaitement détachée des sollicitations téméraires ou jalouses. Désormais, la France... pense à se ramasser, à se concentrer sur elle-même, à se créer une telle puissance, un tel prestige, un tel essor, qu’à la fin, à force de patience, elle pourra bien recevoir la récompense de sa bonne et sage conduite. Et je ne crois pas dépasser la mesure de la sagesse et de la prudence politique en désirant que la république soit attentive, vigilante, prudente, toujours mêlée avec courtoisie aux affaires qui la touchent dans le monde, mais toujours éloignée de l’esprit de conflagration, de conspiration et d’agression, et alors, je pense, j’espère, que je verrai ce jour où, par la majesté du droit, de la vérité et de la justice, nous retrouverons, nous rassemblerons les frères séparés.


Deux mots sont ici particulièrement caractéristiques, « les sollicitations téméraires ou jalouses. » Téméraires, vise les impatiences du dedans, celles qui jetteraient la France dans l’aventure périlleuse d’une guerre avant qu’elle soit prête ou qu’une bonne occasion vienne à s’offrir. Jalouses, fait allusion aux sollicitations intéressées du dehors, à ceux qui voudraient nous entraîner à la guerre pour servir leurs propres querelles, leurs propres intérêts. Gambetta se tient sur la réserve vis-à-vis des uns comme des autres. Libre de toute attache, il pourra, au moment décisif, choisir le parti le plus avantageux pour la France. Il espère faire naître ainsi l’occasion où la « justice immanente » pourra se manifester.

Ces idées, fruit de son expérience et de ses réflexions aux alentours de la quarantaine et sur le seuil du pouvoir, éclairent