Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cléricale, qu’elle cherchât à grouper autour d’elle les élémens de cléricalisme qui existent en Allemagne et dans tous les pays de l’Europe. Cela constituerait un danger pour nous, pour l’idée même de l’État. » Plus tard, dans l’hiver de 1878, il fera écrire par son fils Herbert à Henckel de Donnersmarck, au moment où celui-ci, à Paris, cherchait à décider Gambetta à une entrevue avec Bismarck : « Nous ne voulons pas et n’avons pas besoin d’une guerre avec la France ; nous croyons aussi qu’elle n’éclatera pas fatalement, tant que le Pape n’en donnera pas l’ordre exprès. » Il dit, à la même époque, à l’écrivain hongrois Jokaï : « Le seul homme qui puisse actuellement troubler la paix de l’Europe, c’est le Pape. » On se demande, en vérité, si Bismarck a pu être aveuglé par sa passion au point de croire, même à moitié, ce qu’il dit, ou s’il a espéré que quelqu’un pourrait mordre, à Paris, à un appât si grossier.

Il est impossible, dans l’état actuel de notre connaissance des documens contemporains, de savoir si Bismarck a donné à entendre, par un canal quelconque, au Comte de Chambord que son retour sur le trône de France serait le signal d’une guerre nouvelle. Ce qui est certain, c’est qu’après le 16 mai, le Maréchal et son entourage craignirent que le succès de leur politique ne provoquât une agression allemande. Gontaut-Biron, Mac Mahon lui-même l’ont dit sans ambages. Bismarck, à cette époque, a envisagé la possibilité de mener, avec le parti républicain français triomphant, une politique « anti-cléricale, » sinon commune, du moins parallèle ; la mission d’Henckel de Donnersmarck et les projets d’entrevue entre le chancelier et Gambetta s’expliquent en grande partie par des velléités de cette nature.

Le fameux incident de 1875 est, au moment où une crise européenne va s’ouvrir en Orient, une suprême tentative de Bismarck pour obliger la France, par la menace et la violence, à entrer dans son jeu ou pour mesurer sa capacité de résistance. C’est la méthode bismarckienne : nous la verrons reparaître en maintes circonstances dans l’histoire des relations franco-allemandes. La manœuvre de 1875, conduite avec un art consommé, manque cependant son effet. Bismarck a en face de lui le duc Decazes et la pléiade d’ambassadeurs si heureusement choisis par Thiers après nos désastres. Decazes pénètre les intentions de son adversaire : « Il veut nous faire croire