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ses aspects que dans s-es productions, et offrait au printemps d’immenses champs de roses et de cerisiers en fleurs, sur un terrain en mouvement, qui formaient un coup d’œil enchanteur. » C’était le temps où il y avait des roses à Fontenay-aux-Roses. Dans cet asile, au milieu de cette paix des choses qui fait croire à la bonté des hommes, les nouvelles qu’on recevait de la ville furieuse semblaient les visions d’un cauchemar.


V

C’est là que se dénoua, à la manière d’un sombre drame, ce long roman d’amitié.

Depuis le commencement de la Révolution, et à mesure que Condorcet se rangeait davantage au parti des violens, le désaccord avec ses amis d’autrefois s’accentuait. On n’échangeait plus que des lettres d’obligation. Dans une longue note, dont elle a fait suivre la copie de leur correspondance, Mme Suard a conté cette fin de leurs relations : « Lorsqu’il fut nommé à la seconde législature, dit-elle, je lui écrivis un mot d’honnêteté et je le priai, en lui faisant le tableau de tous les malheurs et de tous les crimes de la Révolution, de nous en épargner une seconde. Il n’a point répondu à cette lettre. Un jour, je le rencontrai dans la cour des Feuillans : il vint à moi les bras ouverts, m’appela sa bonne amie. Mon cœur ne put lui répondre, je me trouvai froide dans ses embrassemens. Je lui lis quelques reproches d’un ton doux sur sa conduite politique. Il en parut embarrassé et me quitta. Sa figure était aussi changée que ses principes. Ce n’était plus ce caractère de douceur qui attirait la confiance et l’affection. C’était une figure désordonnée, hâve et presque hagarde… » Mme Suard ne devait plus le revoir, mais seulement l’apercevoir — une fois, dans quelle posture et dans quelles circonstances !

Nous avons dit que proscrit par la Convention, et forcé de quitter la maison de la rue Férou, Condorcet sortit de Paris, prit la roule de Fontenay et vint demander asile aux Suard. Que se passa-t-il alors ? Il était impossible que Mme Suard, en publiant, ces lettres, se dérobât au devoir de nous fournir sur ce dernier épisode un l’enseignement que guettait la curiosité du lecteur. On lit, en effet, à la dernière page de son manuscrit :

Il se présenta le matin à Fontenay-aux-Roses, en