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EUGÈNE-MELCHIOR DE VOGÜÉ

J’ai connu Eugène-Melchior de Vogüé, en 1883. Je le rencontrai à un dîner chez Mme Adam où j’étais son voisin. Vogüé occupait alors le poste de secrétaire à l’ambassade de France à Saint-Pétersbourg. Trente années n’ont pas effacé le souvenir de l’impression que me donna aussitôt la personnalité révélée par cette première causerie. Une longue intimité n’a fait que préciser, que creuser, si je peux dire, cette impression. Je sentis que j’avais devant moi un des hommes supérieurs de notre époque, à la fois très exceptionnel par les traits si puissamment contrastés de sa destinée et de sa nature, très représentatif par sa faculté d’intelligence et de sympathie, par son souci passionné de comprendre son temps pour être utile. L’extrême variété de sa culture semblait faire de lui, par avance, une proie assurée à la maladie du dilettantisme. Aucun artiste de nos jours n’en fut moins touché. Aucun n’a mérité davantage que les compagnons qui lui survivent lui rendent un témoignage public. Je lui apporte le mien au moment où la réception de son successeur à l’Académie Française va de nouveau appeler l’attention sur cette haute figure. J’essaierai de caractériser les origines de ce rare talent en montrant chez lui l’empreinte ineffaçable de la Race et du Sol. J’indiquerai ensuite quelles conditions gouvernèrent son développement. Je tenterai en dernier lieu de définir la place occupée par son œuvre dans le vaste et confus travail de la génération d’après la guerre. Ces trois points de vue sont loin d’épuiser cette riche et complexe nature. Bien traités, ils en marqueraient les traits les plus importans.