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concussionnaire était « gardé à vue » jusqu’à ce que l’on eut décidé sur son sort ; d’autres le disaient enfermé derrière les murs de la Bastille.

La vérité, bien différente, est que, Sartine tombé et Castries établi en sa place, une réaction rapide s’était opérée à la Cour. Les artisans de la chute de Sartine sollicitaient en sa faveur la générosité royale ; la Reine, Vaudreuil, Mme de Polignac, faisaient valoir ses longs services et obtenaient pour lui une grosse somme pour payer ses dettes, une forte pension de retraite, réversible sur ses enfans. Il semblerait même que Maurepas eût un moment songé à le porter au ministère de la Maison du Roi, en remplacement d’Amelot, vraiment trop incapable. Mais l’opposition de Necker aurait fait échouer le projet.

Quoi qu’il en soit de ces détails, le fait essentiel et certain est que l’influence politique du directeur général des finances fut, de ce jour, puissamment fortifiée. Son crédit sur l’esprit du Roi parut à tous « prépondérant, » et l’on crut reconnaître en lui, comme écrit Soulavie, « le baril de poudre destiné à faire sauter Maurepas. » De même pour Marie-Antoinette. Sans doute, en cette affaire, ce n’est pas elle qui avait mené la bataille. Son rôle, bien qu’important, n’avait été que secondaire. C’était Necker, surtout, dont le coup d’œil, l’audace heureuse, avaient assuré l’avantage. Mais, en présence du résultat, la jeune souveraine ne s’en crut pas moins victorieuse[1], et le succès qu’elle s’attribua augmenta sa confiance, l’enhardit à entrer plus ostensiblement en lice. « La Reine est maintenant assez disposée à s’occuper de grandes affaires ; cette idée même semble lui plaire[2]. » Ainsi s’exprime le comte de Mercy-Argenteau, et il put bientôt constater que sa prévision était juste.


V

Un des premiers effets des événemens qu’on vient de lire fut d’entraîner un classement nouveau des partis à la cour de Versailles. Aux deux grands partis en présence, celui de Necker et celui de Maurepas, s’adjoignirent deux autres groupemens, de force presque égale, dont l’un avait pour chef la Reine et l’autre

  1. Journal du duc de Croy, 1780.
  2. Lettre de Mercy à l’Impératrice, du 18 novembre 1780, passim.