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puis c’est aussi que, pour obscures et fatigantes que fussent ses occupations professionnelles, du moins elles se rattachaient à cette musique dont on peut dire qu’elle avait toujours été la grande, l’unique passion de sa vie.

La musique ! De tout temps Hoffmann l’avait aimée d’un amour ardent et fidèle, ne prêtant d’attention aux diverses figures féminines dont il s’était épris que dans la mesure où il voyait en elles des incarnations de cet art adoré. Que l’on songe, par exemple, à la place qu’a dû tenir la musique dans le cœur de l’homme qui a écrit l’extraordinaire « fantaisie » publiée sous le titre de Don Juan ! 1 chaque instant, dans ses lettres de jeunesse, Hoffmann associe la musique à tout le détail de ses actes. Vingt fois ses amis l’entendent affirmer qu’il « succomberait au désespoir s’il n’avait pas son piano-forte. » De Kœnigsberg, le 22 septembre l795, il écrit à son camarade et confident Hippel : « Lui seul, mon piano, me réconforte parmi l’orage de mille émotions torturantes. C’est comme si un génie bienfaisant s’approchait de moi et m’enveloppait de son aile. A demi enivré de la course, toujours renouvelée, de ma fantaisie, j’ai le sentiment de me perdre tout entier en moi-même, bien loin des tristesses du monde, » Une autre fois, il annonce à Hippel qu’un événement merveilleux lui est arrivé : il a pu lire et étudier la partition d’orchestre du Don Juan de Mozart. Avec un enthousiasme clairvoyant, il décrit à son ami les qualités incomparables qu’il vient de découvrir dans cette musique. « Je voudrais étudier encore Don Juan pendant six semaines, et puis, après cela, te le jouer sur un forte-piano anglais. Mon seul vrai ami, tu te tiendrais assis, immobile, jusqu’à la fin de la pièce, et ton cerveau, pour étranger qu’il soit à la musique, se remplirait là de jouissances surnaturelles. » Qu’il parle de ses aventures sentimentales ou de ses projets d’avenir toujours Hoffmann trouve le moyen de nous attester ce besoin irrésistible de musique dont il est possédé. Jusqu’au jour où il « est devenu auteur, » la musique a été pour lui une maîtresse infiniment chère ; et d’autant plus il a dû souffrir, pendant ses dernières années, du cruel regret de l’avoir abandonnée et trahie.

Mais elle, sa fidèle maîtresse de naguère, jamais elle ne l’a tout à fait abandonné. C’est elle qui, dans son nouveau métier, lui a inspiré ses inventions les plus belles, et qui a fait de lui un poète, par-dessus l’« humoriste » qu’il voulait devenir. Jamais peut-être aucune œuvre littéraire n’a été plus imprégnée de musique que celle d’Hoffmann. Non seulement les sujets musicaux y jouent un rôle énorme, soit que le conteur les aborde de front, comme dans le Chevalier Gluck, dans