Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/948

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prussienne, lui permettraient de se livrer tout entier à l’active impulsion de son génie créateur.

Mais voici que, dès l’année suivante, la publication du premier volume des Pièces dans la manière de Callot est venue renverser tous les projets de notre musicien ! Formé de morceaux que l’auteur avait écrits jadis à loisir, en façon de « divertissement » à ses ennuis professionnels de Bamberg, ce volume, qui, aujourd’hui encore, nous apparaît incontestablement le chef-d’œuvre d’Hoffmann, lui a valu aussitôt d’innombrables commandes, de la part de directeurs de journaux et d’éditeurs allemands, — cependant que la partition d’Ondine continuait à attendre, dans un tiroir, l’ « occasion favorable » d’être mise en scène. Sous l’effet d’un hasard et presque malgré soi, Hoffmann « est devenu une espèce d’auteur. » Depuis lors, il n’a plus cessé de produire des romans et des contes, durant les sept années qui lui restaient à vivre. Il s’est littéralement épuisé à force de « copie ; » et j’ai dit déjà de quelle façon, parmi ces besognes de toute espèce qu’il acceptait et exécutait infatigablement, ses préférences personnelles l’attachaient surtout à des morceaux du genre « humoristique, » tels que Maître Puce ou la double autobiographie entremêlée du Chat Murr et du Maître de Chapelle Kreisler, — « fantaisies » dont l’extravagance subtile et compliquée l’aidait à oublier son remords secret d’avoir décidément sacrifié à la recherche du succès matériel les véritables aspirations de son âme d’artiste.

Car Hoffmann avait beau être l’un des écrivains les plus lus de son temps, et les mieux payés : la littérature n’était toujours pas son métier, et lui-même le sentait, plus ou moins confusément, et j’imagine que le chagrin qu’il en avait n’a pas été sans contribuer à ce changement qui se manifeste à nous dans ses lettres, depuis le jour où il est « devenu auteur. » Écrivain par occasion, il ne pensait plus qu’à se tirer le mieux possible de cette tâche nouvelle, d’autant plus malaisée pour lui qu’elle répondait moins à sa nature intime. Constamment il avait l’impression comme d’un acteur qui ne saurait se distraire de l’étude de son rôle : sans compter qu’il n’était pas né, non plus, pour gagner de l’argent, et que ce souci-là également devait l’absorber plus que de raison. Combien son esprit et son cœur étaient plus libres naguère, à Bamberg ou à Dresde, en dépit d’occupations encore plus actives ! Malade, dépourvu d’argent, l’humble croque-notes s’épanchait alors, dans ses lettres, avec une gaité, une verve, une poésie délicieuses : mais c’est qu’alors, en premier lieu, le fardeau qu’il portait sur ses épaules y pesait moins lourdement que celui d’à présent ; et