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semble-t-il, nous expliquer l’étrange et profond changement survenu, aux environs de l’année 1814, dans l’allure des lettres intimes de T. A. Hoffmann. L’homme qui écrivait à son ami, le 1er décembre 1813 : « Voici que je suis devenu une espèce d’auteur ! » avait alors tout près de quarante ans. Il avait occupé tour à tour des fonctions publiques à Kœnigsberg, à Posen, à Plock, et à Varsovie, partageant ses loisirs entre le dessin et la musique, ou plutôt accordant à ces deux arts la petite partie de ses loisirs qu’il ne dépensait pas à fumer et à boire, en compagnie de ses collègues, dans de joyeux cabarets de ces endroits divers. Puis, en 1806, lorsque les Prussiens avaient été chassés de Varsovie, Hoffmann avait perdu sa place, et était venu demeurer à Berlin : réduit à une misère lamentable, c’est encore à sa musique et à son dessin qu’il avait demandé de le faire vivre, sans que la fréquentation de nombreux écrivains berlinois lui suggérât l’idée de s’essayer lui-même à des travaux littéraires. A Bamberg, de 1809 à 1813, il avait été chef d’orchestre, professeur de musique, et compositeur ; sauf pour lui à se procurer un petit revenu supplémentaire en envoyant à un journal musical de Leipzig des comptes rendus de partitions nouvelles, ou même parfois des « fantaisies » d’un genre plus libre, mais se rapportant toujours expressément à l’histoire ou à la théorie de la musique. Lorsqu’il avait quitté Bamberg, durant l’été de 1813, pour la première fois il projetait résolument d’être désormais un « artiste : » mais c’était encore à la composition musicale qu’il rêvait maintenant de se consacrer. Il s’occupait à mettre en musique un poème que l’écrivain berlinois Lamotte-Fouqué avait tiré pour lui de son délicieux petit roman d’Ondine II en était là lorsqu’un marchand de vins de Bamberg, désireux d’entrer en rapports avec des gens de lettres, lui avait proposé de recueillir en volume et de publier à ses frais les articles écrits naguère pour la Gazette Musicale de Leipzig. Ainsi était né le premier recueil des Pièces de fantaisie dans la manière de Callot ; et, bien que l’auteur du recueil, afin de l’ « étoffer, » y eût joint les deux « fantaisies » purement littéraires dont on vient de l’entendre parler, le Chien Berganza et le Magnétiseur, ses lettres nous révèlent qu’il n’attachait guère d’importance à cette incursion dans un domaine étranger. Le succès de son Ondine lui tenait infiniment plus au cœur que celui de ses Pièces dans la manière de Callot. Musicien par ses goûts et sa profession, déjà il entendait vibrer dans ses oreilles des échos des opéras, des messes, des savans quatuors qu’il allait composer dès que les démarches d’un ami d’enfance heureusement retrouvé, en le pourvoyant à nouveau d’un petit emploi dans l’administration