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d’autres ouvrages élaborés avec plus de soin. Mais il n’en demeure pas moins que, pour les biographes allemands qui s’occupent de nos jours à « exhumer « l’œuvre et la figure d’Hoffmann, ce dernier apparaît avant tout tel qu’il se montrait naguère à ses contemporains, et tel aussi qu’il apparaissait à ses propres yeux : il faut voir avec quelle amertume le plus savant de ces « néo-hoffmanniens, » M. Hans von Müller, reproche aux anciens biographes de son héros la préférence accordée par eux à des contes « sentimentaux » du genre de Maître Martin le Tonnelier, et leur peu d’enthousiasme pour les extravagances « humoristiques » de la Princesse Brambilla.

Encore cette substitution d’un joyeux « humoriste » au tragique « visionnaire » de la légende n’est-elle pas le seul coup infligé à celle-ci par les nouveaux biographes et critiques du célèbre conteur allemand. Le fait est qu’il a suffi à M. von Müller de recueillir et de publier la correspondance d’Hoffmann pour qu’aussitôt nous vissions la légende susdite s’écrouler tout entière, laissant à sa place une réalité à la fois la plus « positive » du monde et la plus imprévue. Que l’on imagine le neveu de Rameau, l’inoubliable « bohème » dont la figure a été dessinée sur le vif par son glorieux confrère Diderot, qu’on l’imagine transformé soudain en un professeur de musique ou de philosophie, dans quelque université de province où le succès de son enseignement lui permet enfin, pour la première fois, de connaître la double jouissance de l’argent et de la renommée ! Et voici que Diderot a, de nouveau, l’occasion de le rencontrer : mais à présent le neveu de Rameau ne bavarde plus, n’a plus ni le goût ni le loisir d’émettre des paradoxes. Au café où, parfois encore, il revient s’asseoir, l’ex-va-nu-pieds s’emploie à noter ses comptes sur un carnet, ou bien il prépare ses leçons du lendemain, ou bien évoque complaisamment les bravos qui ont accueilli sa leçon de la veille. De sorte que le pauvre Diderot, après l’avoir quitté, se demande s’il est possible que ce personnage vaniteux et affairé soit bien le même neveu de Rameau qui naguère, durant un après-midi, dans un café parisien, l’a émerveillé par son détachement de toutes « conventions » morales ou sociales.

Plus d’un lecteur, je crois bien, éprouvera une surprise analogue en lisant la longue suite des lettres d’Hoffmann. Pendant une vingtaine d’années, de 1794 à 1815, le futur auteur de l’Élixir du Diable l’aura ravi par l’abandon et la liberté de ses confidences ; et puis, brusquement, pendant les sept dernières années de sa vie, de 1815 à 1822, voici que, dans presque toutes ses lettres, le même homme ne s’entretiendra