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façon, le Peler Schlemihl de Chamisso n’avait été, pour son auteur, qu’une « drôlerie ; » et pareillement encore il ne semble pas qu’Hoffmann ait jamais pris tout à fait au sérieux une seule des fables qu’il racontait, — s’attachant par-dessus tout à leur donner une allure assez imprévue et d’une « fantaisie » assez nouvelle pour que ses lecteurs en fussent divertis. Encore se voyait-il tenu de sacrifier, par instans, à la mode « romantique » d’alors, qui exigeait de tout conteur une part d’inventions sombres et terribles ; mais la lecture de ses lettres nous prouve suffisamment que rien de tout cela ne lui plaisait à écrire autant que ses véritables « pièces dans la manière de Callot, » ces étranges récits des aventures du Pot d’Or et de Maître Puce, où l’atmosphère « fantastique » ne lui servait qu’à déployer plus à l’aise son goût passionné d’observation satirique et de caricature.

Non pas pourtant que les lecteurs français d’Hoffmann se soient entièrement trompés lorsque, dès le jour où l’industrieux Loëve-Weimars leur a présenté un peu au hasard une abondante série de contes « humoristiques » et de contes « fantastiques, » ils ont résolument préféré les seconds aux premiers, — qui d’ailleurs, de par leur genre même, ne pouvaient manquer de leur être d’un accès beaucoup plus difficile ! Non seulement il était fatal qu’une bonne partie de l’agrément comique de « fantaisies » de l’espèce de Maître Puce ou de la Princesse Brambilla, avec leurs allusions personnelles et leurs jeux de mots, perdît son action sur des étrangers : nous avons en outre l’impression que, aujourd’hui encore et à les considérer d’un point de vue général, les contes choisis et retenus autrefois par nos pères, dans l’œuvre d’Hoffmann, possèdent une mystérieuse, subtile, et touchante beauté qui les rend supérieurs au reste de l’œuvre. J’essaierai d’indiquer tout à l’heure, à l’aide des renseignemens fournis par les lettres intimes de l’écrivain berlinois, la source probable de cette beauté qui de génération en génération, j’en ai l’assurance, continuera d’émouvoir de jeunes cœurs amoureux de musique et de poésie, dans ces récits proprement « romantiques » d’Hoffmann, Don Juan, l’Hôte mystérieux, Ignace Denner, que leur auteur semble bien n’avoir regardés que comme des « besognes » adroitement improvisées, tandis qu’il apportait beaucoup plus d’ambition et d’effort à des farces qui jamais ne réussiront à nous amuser. Maintes fois, dans l’histoire des arts, il est arrivé ainsi que les « besognes » d’un poète de race se sont trouvées revêtues d’une vie artistique quasi involontaire, ou en tout cas plus profonde et durable que celle