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portrait plus conforme à la réalité historique. Qui de nous ne se souvient d’avoir vu surgir devant soi, au cours de ses lectures, un petit homme au visage diabolique, errant par les rues de Berlin avec un habit dépenaillé et des yeux hagards, un Hoffmann plus « hoffmannesque « et plus incroyable que pas un de ces Coppelius ou de ces Crespel que son imagination d’ivrogne halluciné lui faisait apercevoir à chaque pas, autour de lui, sous la banale uniformité bourgeoise de la vie allemande ?

Or voici que, comme je l’ai dit, les compatriotes d’Hoffmann se sont mis à « redécouvrir » l’écrivain que Chamisso appelait autrefois le « premier de leurs humoristes ! » Ils se refusent toujours encore, il est vrai, à admirer en lui l’auteur des Contes Fantastiques : car le fait est qu’Hoffmann n’a jamais été cet auteur-là que pour nous, dans les éditions françaises de son œuvre, tandis que l’on chercherait vainement le moindre emploi d’un mot équivalent à ce que signifie pour nous l’épithète : « fantastique, » dans l’intitulé original d’aucun de ses recueils. Un « humoriste, » un conteur d’histoires éminemment « divertissantes » à force d’étrangeté dans l’invention ou de drôlerie dans l’exécution, tel apparaît surtout Hoffmann, aujourd’hui comme il y a quatre-vingt-dix ans, à ses lecteurs allemands ; et son « cas » ressemblerait par là à celui de Dickens, qui, lui aussi, n’a jamais été aux yeux de ses compatriotes qu’un merveilleux « amuseur, » si, à l’opposé des hautes ambitions poétiques et morales que nous révèlent les lettres et toutes les confidences du romancier anglais, le principal objet de l’effort littéraire d’Hoffmann n’avait été, vraiment, de continuer ou de renouveler l’ancienne école des « humoristes » de son pays. Déjà le titre de ses premiers recueils : Pièces de fantaisie dans la manière de Callot, attestait clairement une intention de cet ordre : car il va sans dire que le Callot dont prétendait s’inspirer le conteur allemand était celui des « grotesques » et des « bambochades, » non pas le tragique évocateur de la Passion et des Martyres des Saints. L’élément « fantastique » avait été de tout temps si familier à l’imagination populaire allemande que, dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, des écrivains s’étaient trouvés qui avaient résolu de l’utiliser pour la production d’effets amusans ; et c’est ainsi qu’à Vienne, en particulier, florissait un genre d’opérette à la fois « fantastique » et « humoristique, » — un genre qui, après nous avoir valu la Flûte enchantée de Mozart, s’était élevé à un très haut degré de beauté poétique entre les mains d’un maître de génie, l’extraordinaire Raimund, bien fâcheusement ignoré en dehors des limites de sa patrie. De la même