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tendresse ! Que de cris rachetés par d’humbles et chastes soupirs ! Comparez aux duos de Jean-Baptiste avec Salomé l’entretien de Jésus avec Madeleine, et vous reconnaîtrez, au moins d’un côté, la mesure, le goût et la convenance. Il y a dans la musique sacrée de notre époque peu de pages plus belles, belles avec plus de dignité, de décence et de noblesse, que les strophes de la Magdaléenne au sépulcre. Et puis, que voulez-vous, c’est ici l’une des œuvres de Massenet où « sa grâce est la plus forte. » Un charme se dégage de l’ensemble, un charme qui nous inquiète autant qu’il nous ravit, et, quand on écoute cette musique, on dirait volontiers, avec saint Augustin : « Seigneur, délivrez mon âme du plaisir de l’oreille ! » quitte à souhaiter tout bas de n’être point exaucé.

« Les notes dangereuses d’un langoureux amour. » C’est encore avec ces notes-là que, dans le genre ou l’ordre laïque, Massenet a fait Manon ; Manon qui serait son chef-d’œuvre, si le premier et surtout le troisième acte de Werther n’étaient venus le porter, une fois, sur des sommets plus hauts et plus purs. Oui, ces notes-là soupirent, palpitent, frémissent à chaque page de Manon (nous parlons des pages de tendresse). Ici le rapport est exact autant que délicat entre le fond ou le sujet, le sujet tout entier, action et caractères, et les formes sonores. Il fallait justement cette qualité de musique à cette qualité d’amour. Dans le sentiment, la sensation, au besoin la sensiblerie (Adieu, notre petite table) a bien sa part. La passion, une ou deux fois, l’élève, mais, ainsi qu’il convient, sans trop l’épurer ni l’ennoblir. La mélodie de Massenet paraît avoir atteint dans Manon, je ne dirai pas à sa maturité, car elle y a toutes les grâces de la jeunesse, mais à sa perfection. Et par une rencontre heureuse, qui se renouvellera dans Werther, l’accessoire, comme on dit en droit, a suivi le principal. En cette œuvre privilégiée, le « milieu, » — donnons au mot, pour une fois, son véritable sens, — a rayonné sur les environs ou les alentours. C’est toute l’atmosphère de Manon qui vibre, qui vit et qui brille, atmosphère de gaieté, de joie sensuelle et légère, où passe de temps en temps, furtive, et ne fait que passer, une ombre de mélancolie. A cet égard, l’acte du jeu, dans l’Hôtel de Transylvanie, est un épisode excellent. J’ai toujours admiré comment, avec un pathétique discret, la musique avait su mêler et fondre là vingt nuances diverses, introduire jusque dans la vivacité des rythmes, dans le pétillement d’un orchestre qui luit et tinte comme l’or, je ne sais quoi d’équivoque et de louche, et nous donner par là comme une vague impression de menace, de malaise et de malheur. Détails peut-être, mais précieux