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« L’amour physique, a dit quelqu’un, est extrêmement joli, mais il est extrêmement difficile d’en parler. » Il paraît que le chanter est plus facile. Massenet du moins, sans effort et rien qu’en suivant sa pente, y a fameusement réussi. Quand on se rappelle Esclarmonde, on ajouterait même « furieusement. » Il y avait là tout un acte, renforcé d’un entr’acte, où (la musique arrivait au plus haut degré (si c’est le plus haut) de l’imitation, de la description ou de la suggestion. L’orchestre ici, oui, même l’orchestre « dans les sons, brava l’honnêteté. » De luxuriante, l’instrumentation de Massenet, ce jourlà, devint luxurieuse, et la fleur de sensualité que le musicien avait cultivée jusqu’alors s’épanouit enfin, comme fait, dit-on, la fleur de l’aloès, avec un fracas de tonnerre.

Déchaînée ici, retenue ailleurs, mais presque partout présente, il est peu de sentimens où cette sensualité ne se mêle. Il s’en faut qu’elle ait toujours respecté dans l’œuvre de Massenet le sentiment religieux lui-même : d’où les plus regrettables, les plus fâcheuses équivoques. Les transports enragés d’Esclarmonde et de son Roland font bientôt place à d’insipides autant qu’inopportunes patenôtres. Musique de volupté, la musique de Massenet sait l’être aussi de dévotion. Passe encore pour Grisélidis, honnête et conjugale partition, toute pleine d’Ave, d’Angelus et d’Alleluia, de cantiques alternant avec des complaintes, album en partie double de vignettes sentimentales et d’images de sainteté. Mais quel manque de goût et quel manquement aux convenances, que de rapprocher, dans une espèce de Noël ambigu, deux nativités qui n’ont rien de commun. Encore ne s’agit-il ici que d’un lied, ou d’une « mélodie ! » Mais on sait que l’opéra d’Hérodiade a pour « argument » une bien autre, et plus déplaisante, et plus choquante rencontre. Des Salomé et des « salomeries » qui depuis lors nous furent offertes, l’Hérodiade de Massenet porte un peu la responsabilité. La faute en est, direz-vous, aux librettistes. La première faute, oui. Mais le musicien a commis la seconde, et non la moindre, en ajoutant à ces troubles imaginations le charme non moins pernicieux d’une musique plus profane encore.

Alors, et Marie-Magdeleine ? Aux jours de sa jeunesse, et de la nôtre, il nous souvient de l’avoir beaucoup, passionnément aimée. Aujourd’hui même, le courage nous manquerait de lui devenir sévère. Ici, ni le respect, ni la piété, ni peut-être la foi n’est toujours absente. Une passion encore trop humaine, trop exaltée et pathétique emporte par momens cette musique et menace de l’égarer. Mais que de pages aussi, délicieuses, où circule un courant de calme et pure