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Qui prend, à les poursuivre, un cœur plus cruel qu’eux !
Sereine, indifférente et l’air impérieux,
De l’arc étincelant elle attire la corde.
Si fort que le fer seul de la flèche en déborde.
Le trait part, siffle ! Encor le grand cri moribond
Que le même soupir faiblissant interrompt !
Et le doux corps s’étend, la face contre terre,
En enfonçant le trait qui ressort par derrière,
Entre une épaule et l’autre. Il ne t’en reste plus
Qu’une seule, Ethosée, aux clairs yeux ingénus.
Chérie entre ses sœurs et de ses sœurs chérie,
La dernière qui fut sur ta gorge nourrie.
Pleurante, épouvantée et mourante d’effroi,
Se traînant à genoux et s’attachant à toi.
Elle se tient blottie et par ton corps cachée.
Et ta voix par l’horreur étranglée et séchée
Crie encor : « Prends pitié ! Pitié ! Pitié ! Pitié ! »
Tu cherches à couvrir le cher corps reployé,
Mais, effleurant ta chair et traversant ta robe,
La flèche vient frapper l’enfant qui se dérobe ;
Et c’est le dernier cri ! Tous tes enfans sont morts !
Alors, d’un mouvement pareil à ces essors
Que la Victoire prend en de nobles statues.
Sur cet amas affreux de vierges abattues.
Dans ta robe aux plis blancs toute pourpre de sang,
Tu dressas vers le ciel ton beau corps menaçant :
« Déesse au nom maudit, reçois mon anathème !
Je ne t’implore pas de me frapper moi-même
………………………
Puisque ton cœur de fer est sans miséricorde.
Et je n’espère pas que ta haine m’accorde
Le trait par qui ton crime, en mon sein aboli,
En me donnant la mort me donnerait l’oubli !
Les destins t’ont fait naître aux hauteurs immortelles ;
Je sais que nos efforts sont impuissans contre elles.
Et les os des Titans nous servent de leçon !
Mais plus haut que des monts entassés, le frisson
De mon cœur maternel s’élèvera ; mes larmes
Iront dans ton Olympe exciter les alarmes