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— « Mère, nous avions peur ! » — « Embrasse-nous, ô mère ! »
« O mère, réponds-nous ! » — « Mère, qui te fait taire ? »
Ainsi toutes parlaient et vers toi se pressaient.
Toutes tendaient leurs bras et toutes t’embrassaient !
Tu te sentais au cœur de leur jeune caresse :
Et, pendant un instant, perdue en leur tendresse.
Tu touchais leurs poignets et tu touchais leurs fronts.
Et tu plongeais tes doigts parmi leurs cheveux longs,
Comme pour étouffer en toi d’horribles doutes,
Tu voulais les tenir et les étreindre toutes.
Soudain l’une cria : « Mère ! tu as du sang !
Tes mains m’ont mis du sang ! » Et, tout à coup, glaçant
Tous ces cœurs et le tien, il se fit un silence,
Et vos corps enlacés, comme dans une transe,
S’arrêtèrent, fixés. Alors le même bruit
Léger, et redoutable à ton cœur trop instruit,
Vibre ; contre ton sein éclate un cri terrible,
Expirant aussitôt en soupir insensible ;
Et s’incline le front que ta main caressait.
Et les beaux yeux sont clos où ta lèvre passait.
Et juste sous le cou, dans la chair délicate,
La flèche, la marquant d’une tache écarlate.
Est venue, en sifflant, jusqu’au bois s’enfoncer.
Et contre toi tu sens le doux corps s’affaisser !
Ah ! Quel rugissement jaillit de la lionne.
Dont l’impassible azur du long désert frissonne.
Lorsque son lionceau blessé par un chasseur
Succombe : de son souffle inquiet et frôleur
Elle parcourt son corps tendrement et l’explore,
Et cherche, en le flairant, s’il sent la vie encore ;
Mais, lorsqu’elle a compris qu’il ne remuera plus,
Déchirant le terrain de ses ongles velus.
Elle allonge la tête et rugit sa détresse.
Tout est saisi de peur dans la forêt épaisse,
Les fauves alarmés, les plus forts et cruels.
Taisant leurs grondemens ou leurs lointains appels.
Blottis dans les roseaux, les rochers ou le sable.
Abandonnent la nuit à sa voix formidable.
Le cri que tu poussas était pareil au sien !
Et ton bras, oubliant son douloureux soutien.