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Ne m’a pas, par ton crime, à ce point appauvrie
Que sept filles bientôt, en leur saison mûrie,
Ne rendent à mon cœur l’orgueil de petits-fils
Qui ne combattront point sans jeter leurs défis !
Tu n’oses pas, j’espère, encor tuer des femmes,
Et cueillir sur nos corps des lauriers plus infâmes !
Et comme tu tenais encore dans ta main
Les flèches dont le fer de ton sang était teint,
Belle et par ton sublime effort magnifiée.
Tu brisas leur faisceau sur ta cuisse pliée,
Et du geste fougueux de tes bras redressés
Tu lanças vers le Dieu leurs morceaux dispersés.
Le Dieu n’était plus là ; le grand ciel était vide,
Sauf un nuage d’or en son azur limpide.

Niobé ! Niobé ! Qu’as-tu dit ? Qu’as-tu dit. »
Quand ton cri douloureux au palais s’entendit.
Au fond du gynécée il atteignit tes filles
Qui de leurs doigts actifs maniaient les aiguilles.
Ou de leur beau pied nu faisaient tourner le rouet.
Comme un jeune cheval bondit au coup du fouet.
Chacune tressaillit, et toutes délaissèrent
Leurs ouvrages divers, et toutes s’élancèrent
Par le vaste couloir encor retentissant.
Du lourd porche sculpté leur groupe bondissant
Sortit d’un même élan et courut vers la mère.
…………………………..
Quand tu les aperçus, tu t’élanças vers elles.
Pour leur cacher ce champ aux sanglantes javelles,
L’affreux champ où gisaient leurs frères moissonnés,
Pour tâcher d’épargner à leurs yeux consternés,
Ne fût-ce qu’un instant, l’exécrable spectacle.
Enfin par cet instinct de jeter en obstacle
Ton corps entre un malheur, ô mère, et tes enfans !
Toi-même avais besoin de doux bras étreignans,
Et de te sentir mère en t’y sentant serrée.
Quand tu les rencontras, d’elles sept entourée :
« O mère, qu’avais-tu ? » — « Mère, pourquoi ce cri. »
— « O mère, nous avons pensé : quelqu’un périt ! »