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De pays éloignés où les mères tremblèrent ;
Sur les sommets des monts les bergers s’assemblèrent,
Peureux, s’interrogeant quelle divinité
Perdait, au fond des cieux, son immortalité.
Tant cette plainte était humaine et surhumaine ;
Et les lyres partout résonnèrent d’un thrène
Qu’écoutaient gravement les poètes surpris.
Comme dans un jardin jonché de lis meurtris,
Tu te penchas sur eux, tu retiras les flèches ;
Pas un seul ne bougea ; des sept blessures fraîches
Sur l’ivoire des flancs un sang pourpre coulait.
……………………….
Quelques-uns avaient clos leurs yeux, mais quelques-uns
Les conservaient ouverts, leurs grands yeux bleus ou bruns
Qui ne souriaient pas en regardant leur mère ;
Sur chacun d’eux tes doigts baissèrent la paupière.
Tu tenais à la main le faisceau des sept dards,
Sans pouvoir relever tes yeux secs et hagards.
Dans ton cerveau confus et roulant de vertige.
Tu cherchais vainement par quel affreux prodige
Leurs corps étaient gisans d’un seul coup traversés.
La foudre tombe ainsi sur les moutons pressés ;
Mais le ciel radieux ne roulait point d’orage.
Les flèches, instrumens et témoins du carnage.
Montraient que ce massacre était l’œuvre d’un bras,
D’un bras exécuteur de desseins scélérats.
Quelle main ennemie, impitoyable et dure,
Avait ainsi marqué de la même blessure
Chacun de ces seins blancs ? Quel redoutable archer,
Quel archer sans rival avait su décocher
De son poste inconnu chaque flèche infaillible ?
Quel abri recelait son embûche invisible ?
Au loin, pas un rocher, pas un creux, un bosquet.
Un buisson dans lequel il pût être embusqué !
Partout le gazon ras et le sable du stade !
Au bord de la folie où notre âme s’évade
Quand brusquement jetée au bout du désespoir,
Ne voulant plus penser, ni sentir, ni savoir,
Elle emporte en tombant, et déchire et secoue
Des lambeaux de raison que noue et que dénoue