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Tes yeux se complaisaient à ce groupe d’athlètes ;
Tu redisais les noms de ces vaillantes têtes,
Selon leur chevelure ou brune, ou noire, ou d’or :
Ismenos, Sopylus, Phœdimus, Alphenor,
L’ardent Damasichton, Tantale, Ilionée ;
Et tu les répétais, ô mère infortunée !
Et ces noms répétés étaient plus doux qu’un chant !

Soudain un bruissement, comme un arc décochant
Sa flèche, traversa l’air et te rendit pâle.
Un grand cri retentit, qui contenait un râle,
Et du groupe effaré sortit une clameur !
Puis encore un grand cri semblable, et puis l’horreur
De ce groupe penché, tout à coup immobile.
Puis encore une fois ce bruissement hostile.
Puis encore un grand cri ! Les deux bras étendus,
Les yeux épouvantés et fixes, tu courus,
Folle d’une invisible et terrible menace !
Et, tandis que tes pieds foulaient le court espace,
Tu vis tous tes fils, l’un après l’autre, tomber.
Et le dernier d’entre eux devant toi succomber.
Le doux Ilionée en qui l’adolescence
Avait encor l’aspect ingénu de l’enfance !
Il te voyait venir, tout éperdu d’effroi ;
Comme vers son refuge, il s’élançait vers toi,
Tant il gardait encor de l’enfance récente
L’habitude ingénue, aimable et confiante,
De chercher un abri dans les bras maternels.
Et ton nom t’arrivait fréquent dans ses appels !
Mais à peine eut-il fait quelques pas, sur la terre
Il tomba : son dernier, plus faible cri de « mère ! »
Te parvint ! Tu volais, Niobé ! Niobé !
Vers ce champ exécrable et de sang imbibé,
Où tes sept fils gisaient, tombés à la renverse,
Chacun portant au cœur la flèche qui le perce.
Sauf le dernier, tombé tandis qu’il s’enfuyait.
Ah ! Quel cri ! Quel long cri dans lequel s’éployait
Une incommensurable et formidable peine !
Il désola les cieux, il suspendit l’haleine
Des brises et des vents, il fit taire les pins.
Et frissonner les rocs, il remplit les chemins