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en ont conclu que cette révolution assurerait la liberté des mers au profit des nations faibles. Dès les essais les plus informes des plus infimes sous-marins, encore aveugles et paralytiques, on a cru pouvoir annoncer un âge de paix maritime universelle, dû à l’apparition des engins nouveau-nés. La guerre devait se rendre impossible par son propre excès, et comme se dévorer elle-même. La puissance formidable mise aux mains de l’homme anéantissait toute défense et partant tout conflit. Les prophètes de ces temps déjà lointains et leurs continuateurs, car il s’en rencontre toujours, ont eu raison de faire au progrès scientifique un large crédit. Souvent ils ont, sur ce point, vu plus juste que leurs contradicteurs : l’ascension matérielle de l’industrie humaine passe toutes les prédictions. On peut cependant, à notre avis, tenir les conclusions de ces enthousiastes pour erronées. Quand bien même le sous-marin demeurerait seul maitre des mers avec sa torpille, nous estimons que la guerre n’aurait pas disparu de leur surface. Nous croyons même que la force de l’armement nouveau, comme tout accroissement de puissance des armes humaines, bénéficierait plus aux forts qu’aux faibles. La faiblesse n’a de recours que dans les transformations morales.

On dit bien que le sous-marin, seul entre tous les bateaux, ne se combat pas lui-même, et par conséquent échappe à la loi du nombre. Ainsi son triomphe équivaudrait à la suppression absolue et universelle de tout transport militaire par eau, de la part du fort comme du faible. La moindre nation maritime aurait le pouvoir de dominer les océans, d’en interdire le séjour à tous, hors les sous-marins. Serait-ce la fin des guerres ? Non pas. Les puissances navales ont toujours intérêt à viser des objectifs terrestres, et il semble qu’alors rien n’empêcherait le transport des expéditions outre-mer par des flottes sous-marines, aptes à parvenir, sans être aperçues, devant tel point des côtes adverses qui leur plairait. Mais une cause de guerre inévitable résulterait des conditions mêmes du problème naval. La mer pouvant se trouver, par la volonté d’un seul gouvernement, fermée aux transports pacifiques, à défaut desquels aucune grande nation moderne ne saurait prospérer et certaines ne sauraient vivre, il faudrait bien que les pays menacés contraignissent l’adversaire à l’impuissance navale pour sauver leur marine marchande. Ils auraient toujours un moyen pour cela,