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dépendent de quelques secondes pendant lesquelles il peut être couvert de mitraille, réduit à l’impuissance et coulé, ou se glisser au contraire jusqu’à la portée favorable et, d’un seul coup, assurant son propre salut, jeter le trouble et la mort à son gigantesque adversaire. L’expérience a montré que de singulières illusions s’élèvent alors dans les esprits les plus froids. On se croit, par une erreur invincible, beaucoup plus rapproché qu’on n’est. Tout le tir s’en trouve faussé.

Mais l’incertitude atteint son comble quand l’ennemi, devinant une présence redoutable, allume ses projecteurs et les dirige sur l’intrus. C’est l’instant où celui-ci, découvert, doit se hâter de vaincre ou de fuir. L’œil de son commandant, ouvert jusque-là sur la nuit, dilaté pour s’emparer du moindre reflet et pour mesurer les ombres, est brusquement aveuglé par un éclat brutal, par l’apparition d’un foyer éblouissant dans l’irradiation duquel tout disparait, ciel, mer, but et le torpilleur même qui porte l’observateur. C’est un oiseau de nuit fonçant sur le soleil, aussi perdu dans ce torrent de lumière que dans une complète obscurité. Il ne reste plus, dès lors, qu’à lancer sa torpille au petit bonheur. On se croit près de heurter de l’étrave le navire ennemi... on s’en trouve encore à 500 ou 600 mètres.

Jusqu’à ces dernières années, le petit torpilleur tombait à 1 200 mètres environ sous le feu de l’artillerie légère. On admettait qu’en une minute, deux au plus, son sort eût été réglé. C’est, à 20 nœuds, le temps de parcourir de 600 à 1 200 mètres. Aujourd’hui l’artillerie légère, plus nombreuse et plus forte, serait probablement à même de couler, entre 1 500 et 2 000 mètres au moins, les contre-torpilleurs, visibles d’ailleurs de bien plus loin. Il est vrai qu’ils peuvent aussi lancer de plus loin que leurs devanciers et sont moins fragiles et plus rapides. Mais, d’autre part, les escadres seront couvertes par ce rideau de destroyers contre lequel, dans la guerre russo-japonaise, sont venues se briser toutes les attaques des torpilleurs nippons, hors la surprise du début. Rien de ce qui précède n’autorise à escompter le triomphe du moucheron des mers sur le mastodonte flottant convenablement escorté.

Deux élémens nouveaux, parmi ceux qui font l’objet des études actuelles, seraient de nature à modifier cette conclusion. L’un, plus hypothétique, mais nullement invraisemblable, est la