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Pour racheter ces diverses infériorités de la torpille, les bâtimens spécialisés ont fait appel à une arme défensive de nature particulière, l’invisibilité. Laissons pour le moment les sous-marins et occupons-nous du torpilleur. Son invisibilité ne saurait être que relative. Elle tient, peinture à part, à deux qualités essentielles, l’exiguïté et la vitesse. Mais il se trouve que celles-ci sont antagonistes. De là l’instabilité d’un type condamné à se dénaturer pour soutenir son rôle.

Entre l’exiguïté et la vitesse, il fallait choisir : d’une part, la mer, aussitôt qu’elle s’agite, réduit à néant la marche des petites unités ; d’autre part, les conditions mécaniques du flotteur veulent qu’avec les déplacemens croisse la possibilité des grandes vitesses. Qu’allait-on sacrifier ? Pour joindre les escadres et leur imposer sa position d’attaque, il était indispensable d’aller plus vite d’année en année. Pour se défendre aussi contre les destroyers armés de canons, il convenait de renforcer les tôles et de porter de l’artillerie légère. En conséquence, nous avons vu le torpilleur passer, sous des noms parfois divers, de 50 tonneaux à 75, puis à 100, à 150, à 180, à 350, à 450 et jusqu’à 750. L’étranger a essayé des contre-torpilleurs de 900 et même de 1 700 tonneaux. Au total, le bénéfice des tonnages n’a pour ainsi dire pas profité à l’armement en torpilles.

Malgré tout, la supériorité de vitesse par rapport aux bâtimens de ligne n’a guère augmenté, même théoriquement. Par mauvais temps, elle devient insignifiante ou nulle. L’invisibilité de jour n’existe plus à aucun titre et le torpilleur n’a plus guère de rôle offensif que la nuit. Enfin, là encore, ne voyant pas de loin, parce que sa passerelle est basse sur l’eau, il sera souvent visible avant de voir. Sa tactique traditionnelle lui devient difficile : elle consistait à s’approcher, à toute vitesse, jusqu’à 300 ou 400 mètres seulement du but. Alors seulement il réunissait les conditions du succès. Mais il n’y arrivait pas sans courir des dangers. Il avait, le plus souvent, une peine extrême à apprécier sa distance. Figurons-nous la situation. Dans la nuit, sur le vide de la mer où rien ne sert de comparaison, une masse noire, inconnue, se dresse. Toutes les dimensions des choses environnantes échappent au regard ; leurs apparences se proportionnent sur cette unique image. L’émotion d’un moment tragique, où la durée elle-même se déforme, contribue à troubler le coup d’œil des plus braves. Le sort de l’attaque et celui du torpilleur