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Tout de même, la vie religieuse s’exprime par des actes individuels ou collectifs : il n’y en a pas sans rites.

Mais, n’est-ce pas là, tout au moins dans la définition des dogmes, une occasion nouvelle de conflits avec la science ? M. Boutroux ne le croit pas, car il ne saurait, selon lui, s’agir, en la circonstance, que de connaissances qui, pour être aussi réelles que les autres n’en sont pas moins confuses et, partant, symboliques. Au surplus, outre que les dogmes ne se confondent pas avec les formes qu’ils revêtent, ils ne concernent, à aucun degré, les relations phénoménales. Autant de motifs pour que la science, qui n’est, elle aussi, qu’un système de symboles, ne les contredise point dans leur essence. Assurément, les dogmes peuvent se rencontrer avec ses découvertes ; mais, jusque dans ces conjonctures, il ne dépend que d’eux de s’entendre, certifie M. Boutroux, les heurts, qui les affrontent, restant purement superficiels, puisque ni les dogmes religieux ni les sciences ne sauraient, sans renoncer à leur esprit, prendre leurs formules pour absolues.

Il en résulte que la science et la religion, loin que l’une puisse jamais nuire à l’autre ou la remplacer, grandissent de leurs conflits, grâce à la raison qui s’ingénie à les rapprocher pour former de leur union, non certes un ensemble logique, mais un tout plus riche et harmonieux que chacune d’elles prise à part.


Ainsi s’achève, aujourd’hui, l’œuvre de M. Boutroux. Elle a levé, comme un germe, de son premier livre sur la Contingences des lois de la Nature. Il ne mettait, en effet, la spontanéité créatrice au sein des choses et la liberté au cœur de l’homme que pour dénier à la science l’ambition qu’elle s’arroge de tout embrasser sous les espèces de l’absolu. Au-dessus de la connaissance scientifique, M. Boutroux ne plaçait-il pas l’intelligence qui la crée et la raison qui la juge ? Aussi bien, est-ce en la raison, à qui il attribue pour mission non seulement de diriger notre savoir, mais d’orienter notre vouloir, qu’il se fie du soin de scruter les énigmes que resteront toujours plus ou moins pour nous la nature des choses, nos origines et nos destinées. Sur la raison, il fonde, par suite, la philosophie, qui, précisément, rappelle la science à ses justes limites et, sous l’uniformité du monde que les savans nous décrivent, distingue la diversité et la vie. M. Boutroux la discerne cette vie, — qui, à ses yeux, est esprit.