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il n’est à la fin que parce qu’il est au principe. De ces hauteurs, aussi bien, la philosophie de la contingence prend tout son éclat et gagne toute sa signification. Il n’y a, en effet, pour la suivre jusqu’au bout, de contingence dans le monde et de liberté dans l’homme que parce que le monde et l’homme sont issus tous deux de l’acte souverainement libre d’une volonté chez qui, à l’inverse de la nôtre, le pouvoir égale le vouloir. Le monde entier n’est pas, en retour, sans présenter un reflet de la divinité. C’est ainsi que plus est élevée la nature d’un être et plus proche, par conséquent, de son créateur, plus elle comporte de perfection et plus, aussi, de liberté.

La destinée de l’homme, qui est de toutes les créatures la plus libre, est, par suite, d’imiter Dieu, autrement dit de vouloir le bien. N’est-ce pas, remarque M. Boutroux, en prenant son point d’appui au-dessus de soi, dans l’idée même de la fin pour laquelle il est né, que l’homme peut, vraiment, dominer et sa propre nature, et le monde qu’il habite ? Autant avouer que la religion est indispensable à la morale. M. Boutroux le dit formellement dans un article de 1910 intitulé Morale et Religion, qui a paru ici même. Il concède, sans doute, qu’une morale déjà constituée puisse se définir, être efficace et, même, progresser, sans recourir, à tout instant, à la religion ; il lui refuse la possibilité, si elle veut vivre d’une vie vraiment féconde, de ne pas, subrepticement ou non, y puiser sa sève. De fait, il lui paraît que c’est la religion qui, explicitement ou non, oriente l’activité de l’homme, cette activité à laquelle nous devons la civilisation, de même que leur modèle divin soutient et anime les êtres dont nous sommes l’achèvement, et qui ambitionnent de nous ressembler afin, par notre entremise, d’en figurer mieux l’image. M. Boutroux les compare à un navire qui avance parmi les écueils. À son exemple, ils n’auraient pas pour unique fin de subsister à travers les obstacles : de même que le navire marche vers sa destination, ils auraient à se rapprocher de Dieu, chacun à sa manière.

Cependant, M. Boutroux ne limite pas la religion à l’esprit. Quoiqu’il la tienne, avant tout, pour une vie intérieure, M. Boutroux pense qu’elle ne peut se réaliser sans s’incarner. L’inspiration religieuse ne se traduit-elle pas par des conceptions qui, bien qu’elles débordent l’expérience et s’annoncent comme des révélations, demandent à être fixées dans des formules ?