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dans un idéal qui s’élève au fur et à mesure que nous en approchons. Tout ce qui hausse l’homme l’achemine, ainsi, vers la religion, car l’idéal, en se perfectionnant, nous amène à supposer que, loin de représenter un vain mot, il a pour origine l’Etre absolument parfait que pressent la raison.

M. Boutroux prend soin, dans un article daté de 1912, de spécifier que la religion confère à l’homme une vie plus riche et plus profonde, précisément par la croyance en Dieu qu’elle implique. Là, selon lui, est son originalité. De fait, nous dit-il, la raison tient à scandale que, sur terre, le mal s’affirme la condition du bien, s’il n’est que trop vrai que tout progrès y soit suscité par la souffrance, la faim, la haine et la guerre. Non seulement elle souhaite que le bien sorte du bien, elle conteste que le mal soit la loi du monde. D’autant plus que, au lieu de l’univers indifférent et monotone du savant, elle discerne, dans la nature, de l’ordre et de l’harmonie, cependant qu’elle conçoit un Être infiniment parfait vers lequel tous les autres tendraient et dont cet ordre, comme cette harmonie, dépendrait. Aussi bien, la raison refuse de mettre à l’origine le hasard, que la science n’élimine de ses propres constructions que pour le laisser subsister à la racine des choses, comme un gage de son ignorance, mais aussi comme une assurance, à son profit, contre la contingence et la liberté qui, seules, autorisent le règne des fins.

M. Boutroux rejoint, ici, les conclusions de sa thèse, qui, on le voit, devançaient singulièrement l’aboutissement de ses démarches ultérieures sur le même sujet. Ne prétendait-il pas, dès la Contingence des lois de la Nature, que suspendre l’univers à une notion aussi vide que celle de nécessité absolue, c’est le laisser, au vrai, sans explication ; qu’il faut donc bien en arriver à l’idée de Dieu et que, pour la former cette idée, il ne suffit pas d’ajouter au concept d’être, en guise d’attributs, les forces physiques et chimiques, ni même la vie et la conscience, car ce serait en obtenir une approximation beaucoup trop pauvre, l’idée de Dieu dépassant, en réalité, toute expérience, si riche qu’on la suppose, au point de ne pouvoir être imaginée que sous les espèces de la perfection morale ? M. Boutroux échappe ainsi au panthéisme : non seulement il ne confond pas Dieu avec l’univers, mais, toutes proportions gardées, il lui semble conserver quelque analogie avec la personne humaine.

Dieu n’est, d’ailleurs, le terme que parce qu’il est le créateur :