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scientifique n’est ni le tout, ni l’essentiel de la raison humaine, pour déclarer qu’il y a des questions qu’elle ne saurait trancher, des barrières qu’elle ne saurait franchir. Au regard de la raison, non seulement la science ne peut être prise pour un absolu qui nous dévoilerait le tréfonds de l’être, mais elle est bien obligée d’accepter, comme ils se présentent, les choses sur lesquelles porte son investigation et l’esprit qui en prend connaissance, deux données incomplètement réductibles en élémens intellectuels. Et ce n’est pas tout : l’ordre, la simplicité et l’harmonie, que, même au cours de sa besogne scientifique, recherche l’intelligence dans la nature, constituent autant de notions qui, venues du sentiment, dépassent, en même temps que la science, les facultés intellectuelles. Dans la pratique, il n’y a pas séparation entre l’intelligibilité abstraite et le sentiment de l’homme, entre le monde scientifique et le savant. En fait, la science ne subsiste, comme elle ne se crée, que dans des esprits individuels et par eux. Bien que l’entendement cherche à systématiser le monde d’un point de vue impersonnel, on ne peut isoler la science de qui la crée. De quel droit, en conséquence, interdirait-elle, au delà de ses particulières recherches, de systématiser les choses par rapport à la personne, à l’humanité et à l’univers, ce qui est la fonction même de l’esprit religieux. » Différent de l’esprit scientifique, celui-ci ne saurait donc le condamner. Pour M. Boutroux, comme pour La Bruyère, la religion et la science sont distinctes, mais non incompatibles.

D’autre part, quand l’homme réfléchit aux conditions de sa propre existence, il aboutit à l’esprit religieux. Le moindre de nos actes ne signifie-t-il pas que nous lui attribuons quelque valeur et, par conséquent, à la vie ? Au-dessus de la science, nous concevons, en outre, l’art, la morale et la vérité, comme autant d’idéals auxquels il faut sacrifier. La science même n’est-elle pas l’un d’eux ? Ainsi, la vie, alors même qu’elle se consacre à la science, implique d’autres postulats que ceux qui président à la recherche proprement scientifique.

Assurément, concède M. Boutroux, rien n’oblige l’homme à se dépasser. Mais, outre que le risque est beau, c’est une aventure que tentent beaucoup, un combat qu’il leur plaît de livrer. En tout cas, l’essayer n’est-ce pas croire que dans la raison résident des motifs d’action supérieurs aux lois physiques ? Cela suppose, à coup sûr, la foi en un devoir et, par son entremise,