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ne peut partager le pragmatisme de son confrère américain : il n’admet pas que la valeur théorique ait sa norme dans la valeur pratique quelle qu’elle soit.

Comment déterminer, alors, ce que représentent les états non seulement mystiques, mais religieux ? Ce ne sera, certes, pas en se reportant aux origines : M. Boutroux fait table rase des critiques fondées sur l’incertitude des sources, sur le rôle que l’ignorance, l’imagination, l’intérêt, l’exaltation, la folie, voire l’autorité et la force, ont joué dans la formation, dans l’expansion et dans le maintien des croyances et institutions religieuses. Pour apprécier la valeur théorique de la religion, il ne convient pas mieux, d’après lui, de la comparer à je ne sais quel type transcendant de réalité. Il ne reste, à son avis, qu’un seul parti : envisager la religion dans ses rapports avec la science. Si la religion doit avoir une portée universelle, il faut que la vérité en soit liée, de quelque manière intelligible, à celle de la science. M. Boutroux se trouva, ainsi, amené à écrire son dernier livre : Science et Religion dans la philosophie contemporaine.

Paru en 1908, il ne discute rien moins que les rapports actuels de la science et de la religion, en vue d’apprécier non seulement les états religieux, mais la religion elle-même en tant qu’institution sociale. Grosse question, que tous les temps agitèrent, si rien ne fut plus complexe et changeant que la lutte de la science et de la foi, chacune aspirant à dominer l’autre, alors même qu’elles semblaient s’accorder : lutte plus ancienne et plus redoutable que celle du spirituel et du temporel, de l’Empereur et de la Papauté.

Au début, en Grèce, il s’agissait moins, il est vrai, d’une opposition entre la religion et la science que d’un accord entre elle et la raison, la nature étant considérée comme divine. Au moyen âge, le Christianisme interrompit cette tradition en se posant comme surnaturel. Cependant, les scolastiques, en voulant raisonner leur foi, la rationalisèrent, ce que, plus que Descartes, qui cherchait dans la raison la relation de l’homme à Dieu, continuèrent les cartésiens. Pendant ce temps, la science, qui, au XVIe siècle, s’était définitivement constituée, du jour où François Bacon la fit reposer sur l’expérience, commençait, elle aussi, de réclamer l’hégémonie. De là à nier la religion, qui s’adresse à l’inconnaissable, scientifiquement parlant, il n’y avait pas loin. Au XVIIIe siècle, aussi bien, la science