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plus de choses au cœur de chacun de nous que n’en soupçonnent les philosophes, cependant qu’ils lui révélaient la force du sentiment, le rôle considérable de l’inconscient dans nôtres vie et, en fin de compte, de l’intuition. À ce commerce, il gagna, par surcroît, de voir à l’œuvre, dans son élan proprement vital, cette spontanéité même qu’il avait signalée à la racine de l’être. Il ne pouvait souhaiter meilleure confirmation. Aussi, tandis qu’il s’attachera de plus en plus à signaler, dans la nature, non pas même la liberté, mais l’amour dont elle émane, M. Boutroux accordera toujours davantage à la sympathie.

M. Boutroux n’en vint pas, néanmoins, tout de suite à ces convictions. Un esprit aussi critique devait fatalement s’interroger sur la valeur objective de l’intuition. Il n’y manqua pas. Non que, dès ses premiers travaux sur le mysticisme, il se soit demandé si l’extase met véritablement l’homme en communication avec un être supérieur, mais, simplement, si l’interpénétration des consciences n’est point une chimère. Et M. Boutroux évite de conclure. Pour le reste, c’est-à-dire l’union avec la divinité, il l’attribue à une idée fixe.

Sur ces entrefaites, parut, en 1906, la traduction française de l’ouvrage célèbre de William James : Varieties of Religions Expérience, que M. Boutroux fit précéder d’une longue préface. Pour commencer, il loue le philosophe américain d’avoir examiné la religion en psychologue penché sur les consciences mystiques, en même temps qu’il le félicite de ne pas confondre leurs impressions avec des phénomènes organiques, normaux ou pathologiques. li lui sait gré, enfin, de rapprocher ces états de la subconscience. Tout cela pour avouer, cette fois, que l’intérêt des descriptions consignées par l’auteur rend d’autant plus pressante la question de la valeur de ces expériences. Ne sont-elles pas de simples faits subjectifs nés de circonstances physiologiques ou sociales ? Seraient-elles au contraire, se demande-t-il, « une communication effective avec quelque être différent ou distinct du sujet conscient proprement dit ? » En vain, James répond qu’il faut juger l’arbre à ses fruits et ces expériences à leurs bienfaits, qui sont vie, puissance et joie, M. Boutroux reconnaît, volontiers, qu’en retournant la question de valeur en celle d’utilité, — d’utilité morale, — William James rend tangible à tous le prix de la religion. Toutefois, nourri comme il l’est de philosophie grecque, M. Boutroux