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le mysticisme. Car, pour respecter plus que personne l’autorité de la science, il la sait limitée et, passé ces limites, lui refuse toute compétence. Il estime fort respectable, quand il s’adresse au monde sensible, son parti pris de vouloir tout expliquer par des antécédens de préférence matériels, mais il juge une telle entreprise déplacée en matière morale et, plus encore, religieuse. « Il est étrange, a-t-il déclaré à Harvard, qu’un illustre penseur ait dit qu’il croirait à la possibilité du miracle lorsque la réalisation d’un miracle aurait été constatée et reconnue par l’Académie des Sciences. Même la résurrection d’un mort, dûment constatée, ne serait pour l’Académie des Sciences qu’un phénomène naturel, dont toute l’originalité consisterait à dépendre vraisemblablement de quelque loi inconnue. » Ce sont affaires d’un autre ordre. En foi de quoi, M. Boutroux rejette l’interprétation du mysticisme par la pathologie. Il stipule que, si les mystiques sont névropathes, ce n’est pas à cause de cela qu’ils sont mystiques, ni, en tout cas, en cela que le mysticisme consiste, mais bien plutôt, ainsi que le pensait Plotin, à voir des yeux de l’âme pendant que sont fermés ceux du corps. L’extase, ou communication avec Dieu, en marque, en effet, le point culminant. Toute la vie du mystique, dont l’ordre des facteurs se trouve renversé, en dépend. Alors qu’il croyait s’élever par ses propres moyens, il lui semble, désormais, que tout progrès vient d’en haut, l’Etre parfait créant lui-même en nous la soif que nous pouvons avoir de lui. Tout de même, au lieu de repousser la souffrance comme un mal, le mystique l’accueille comme un bien, à titre d’épreuve ou de purification. D’un mot, M. Boutroux nous donne la clef de sa psychologie en disant qu’il aperçoit le monde par le côté où le voit son auteur. Qu’on se reporte, pour apprécier ce qu’un pareil jugement pouvait avoir de surprenant au début de ce siècle, à l’esprit renanien qui régnait encore à cette époque où, sans plus les prendre pour des imposteurs, les mystiques passaient pour des fous, au point de ranger Pascal lui-même dans cette catégorie !

En fait, ce qui intéresse M. Boutroux chez les mystiques n’est autre que l’approfondissement de leur conscience, grâce à quoi ils ont la certitude de descendre dans leur for intérieur jusqu’au point où, à les écouter, ils touchent Dieu. Ils enseignèrent, à tout le moins, à M. Boutroux qu’il y a bien