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les accordant, les mettre chacune à son rang. Au fond, M. Boutroux aspire à la synthèse totale que la philosophie, mouvante comme la vie dont elle procède, poursuivra toujours et n’atteindra jamais. Son originalité, du moins, consiste à tenter cette synthèse sans appauvrir la réalité qu’elle prétend expliquer. Ne se place-t-il pas, à l’opposé de la plupart des philosophes, en face, non point de l’universel, mais de la spontanéité vivante, dans laquelle il découvre l’essence des êtres et des choses, pour essayer, tout en respectant chaque individualité, d’en rallier toutes les formes et tous les produits, y compris la philosophie même, dans une vue d’ensemble ? M. Boutroux a quelque chose, en somme, d’un pluraliste, d’un pluraliste harmonieux.

Mais, pourrait-on lui demander, quel est donc votre critérium de la vérité ? Qu’est-ce qui vous garantit, en d’autres termes, que votre raison a raison et que votre point de vue est bon ? M. Boutroux, outre qu’il voit dans l’harmonie de nos idées une forte présomption de véracité, nous renverrait, sans nul doute, de la raison individuelle à la raison collective, du bon sens au sens commun. L’accord de nos conceptions avec les choses lui semble, en effet, finalement dépendre, en tant que critère ou marque de vérité, de l’accord entre les hommes : « Car, écrit-il, d’où savons-nous qu’une chose peut être considérée comme existant en dehors des intelligences, sinon parce que les intelligences s’accordent dans leur manière de la concevoir ? » D’où il suit que, pour M. Boutroux, l’ultime moyen de contrôle dont nous disposions, c’est encore l’assentiment de nos semblables.


III

Soucieux d’activité intégrale, M. Boutroux devait s’intéresser à la religion. N’y reconnait-il pas, dès la Contingence des lois de la Nature, la fin même de l’action humaine ? Aussi bien, après avoir étudié ses diverses manifestations et les rapports qu’elles soutiennent avec la connaissance scientifique, en vient-il à s’interroger plus à fond qu’il ne l’avait fait jusqu’alors sur la religion et son attitude à l’égard de la science contemporaine.

C’est par l’examen de l’âme mystique, qui lui semble porter à son maximum le sentiment religieux, que M. Boutroux inaugure cette enquête. Et tout de suite, il prend une position originale : il ne tente pas, comme tant d’autres, d’expliquer scientifiquement