Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/863

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son auteur, le suit dans les détours de ses méditations, partage ses émotions, pour jouir enfin, avec lui, de l’harmonie dans laquelle son esprit s’est reposé. Aussi, chaque fois que son modèle s’y prête, comme c’est le cas, notamment, pour Leibnitz, Pascal et James, il s’attache au développement de la pensée qu’il expose avec un art qui lui rend le mouvement et la vie. Nul plus que le livre, désormais célèbre, qu’il a consacré à l’auteur des Provinciales n’est capable de nous édifier, à cause de la singulière sympathie qu’il lui a portée, je ne dis pas seulement sur la profondeur et la finesse de son analyse, l’élégance et la justesse de son style, mais sur sa singulière puissance d’évocation.

Elle est si grande chez M. Boutroux que certains en ont pris prétexte pour lui reprocher de ne pas avoir de théorie personnelle. Rien n’est plus faux. Non seulement M. Boutroux est un philosophe original, quand il pense par lui-même, il l’est encore quand il revit la pensée des autres, puisque cela même fait partie de sa personnelle conception de la philosophie, qui dérive, en dernière analyse, d’une métaphysique, à lui propre, où tout s’explique par la liberté et, à un moindre degré, par la spontanéité qui en est l’ébauche. Ses études historiques n’ont donc pas pour but une simple satisfaction de curiosité, ni même le désir d’assouplir sa raison en vue de philosopher mieux, mais la philosophie même, qui rentre, d’après lui, dans l’ordre des créations par où se manifeste la liberté de l’esprit humain. L’histoire de la philosophie lui devient, ainsi, un point de départ pour sa particulière spéculation, d’autant plus que, s’il y a chance d’avancer, ce ne peut être, à son avis, que par élargissement et conciliation préalables des différens aperçus déjà ouverts. De fait, en même temps que M. Boutroux expose, il juge et, d’un point de vue supérieur, — donc qui porte plus loin, — il concilie, tout de même que, du sommet d’une montagne, un voyageur embrasse dans toute son étendue l’horizon, qui, cependant qu’il gravissait ses flancs, ne se découvrait que peu à peu. Qu’on suive attentivement le fil de ses travaux et cette préoccupation apparaîtra sans équivoque : toujours il s’efforce d’unir, qu’il s’agisse de déterminisme et de liberté, de science et de philosophie, de science et de morale, ou encore de morale hellénique et de morale chrétienne. Toujours, il part de l’intime compréhension des doctrines pour les surpasser et, en