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de Zeller, qui n’étudie les systèmes que pour les résoudre en momens nécessaires d’une évolution d’ensemble. D’après l’historien allemand, la philosophie ne suit, du reste, un progrès régulier, de l’incohérence à la logique, et de l’opinion à la vérité, que parce qu’il la prend pour une science s’il n’y a guère que les sciences, en effet, pour progresser sûrement.

M. Boutroux réfute cette thèse avec d’autant plus d’ardeur qu’elle le heurtait dans ses plus chères convictions.

Que philosophie et science ne soient pas identiques, il ne faut pour en témoigner que l’impuissance de celle-ci à fonder une règle de vie. Comme y insiste M. Boutroux, dans le petit livre qu’il a consacré à des Questions de morale et d’éducation, toute morale scientifique est condamnée ou à n’être pas morale ou à ne pas demeurer scientifique. L’antinomie est irréductible. La science constate : elle n’oblige ni ne conseille. « La science ne peut rien nous prescrire, pas même de cultiver la science. » Au contraire, la morale ne se contente pas d’observer : elle ordonne. Point de commune mesure. L’éthique est située en dehors ou, si l’on préfère, au-dessus des sciences. On en peut dire autant de l’esthétique, de la métaphysique, voire de la logique, qui ne peut pas ne point aboutir à la critique de la connaissance, toutes questions qui relèvent de la philosophie telle que l’entend M. Boutroux, c’est-à-dire de l’union de la pratique et de la théorie sous le magistère de la raison.

Cataloguer la philosophie parmi les sciences, c’est, d’ailleurs, indubitablement la ruiner. Sur le terrain scientifique, imaginez un désaccord entre la science et la philosophie, nous suggère M. Boutroux, n’est-ce pas, en effet, cette dernière qui aura tort, la science disposant de démonstrations plus rigoureuses ? Supposons, au contraire, que les solutions philosophiques s’accordent avec les découvertes du savant, qu’y a-t-il alors besoin de philosopher ?

Selon M. Boutroux, la philosophie est œuvre de sentiment autant que d’intelligence, œuvre personnelle, par conséquent, qui n’a rien à redouter de la concurrence scientifique. Tout à fait à ses débuts, il va jusqu’à l’assimiler aux beaux-arts. Ne soutient-il pas qu’elle répond surtout au besoin « de développer cette faculté d’initiative et de création qui se sent à l’étroit dans le réel et le nécessaire ? » La philosophie, à cette époque, lui