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à peine détachées, elles furent subordonnées à la mathématique et, par suite, unifiées, semble-t-il, en savoir universel.

Cette unité, cependant, n’est qu’apparente, déclare M. Boutroux : il n’y a pas une science, mais des sciences, chacune avec son objet, sa méthode et ses postulats. Dès lors, le problème ne s’impose-t-il pas des relations qu’elles peuvent avoir entre elles, avec les choses qu’elles étudient et, finalement, avec l’intelligence d’où elles procèdent ?

Par ailleurs, l’homme agit. Il conçoit et poursuit des fins idéales. La vérité est l’une d’elles. La beauté et la bonté en sont d’autres. Un second problème, donc, surgit du rapport de ces fins ou, plus exactement, de l’art, de la morale et de la religion à la réalité.

L’invitation à philosopher part, ainsi, de la science même, la philosophie n’étant, en somme, que l’effort de la raison pour résoudre ces différentes questions et, à l’origine ou au terme, pour sonder sa propre nature.

La raison peut d’autant mieux pousser ses recherches au delà du point où s’arrête la science que, suivant M. Boutroux, elle ne se confond pas avec l’entendement qui, lui, n’est à peu près occupé qu’à cette dernière, chargé qu’il est des concepts ou idées générales entre lesquels nous divisons la réalité afin d’en raisonner plus à l’aise. À en croire M. Boutroux, la raison ne s’identifie pas davantage avec l’intuition ou connaissance immédiate. Elle aurait, au contraire, pour rôle principal de gouverner leur adaptation, autrement dit l’accord de l’homme avec les choses et des choses avec l’homme, les concepts provenant de l’un, l’intuition des autres. Ceci, remarquons-le en passant, ne ressemble guère au système de catégories abstraites en quoi Kant anémiait la raison. À la fois théorique et pratique, faite pour la connaissance et pour la conduite, alliant l’esprit de finesse à l’esprit de géométrie, M. Boutroux la rattache à la personne et la considère en fonction de la vie. Ainsi envisagée, n’est-elle pas identique au bon sens, mais au bon sens éduqué, pour ainsi dire, tant par les découvertes et les méthodes des savans, l’histoire de l’activité et de la pensée humaines que par l’action ? « C’est elle qu’avait en vue Descartes, écrit M. Boutroux en se réclamant de son illustre devancier, lorsqu’il disait que le terme suprême de nos études doit être de nous rendre capables d’un jugement solide et vrai, non seulement à propos des choses scientifiques,