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religion. Réalités, par conséquent, changeantes comme le reste, leur fixité demeurant toute relative et historique, elles sont susceptibles de progrès ou de décadence suivant que s’exalte ou se renonce l’activité libre dont elles émanent et dont elles portent témoignage.

Cette vision est tout imprégnée d’une poésie qui jaillit, comme souhaita de la trouver, toute son existence, Sully Prudhomme, de la contemplation philosophique. Au tableau monotone et rigide que la science nous propose de l’univers, M. Boutroux substitue le spectacle d’un monde infiniment divers et mobile dont la spontanéité de l’esprit fait le fond ; monde harmonieux, aussi, où chaque forme de l’être est la préparation d’une forme plus parfaite, qui, en échange, y introduit l’unité, non pas seulement numérique, mais vivante et belle. De l’ordre mécanique à celui de la vie, auxquels les ordres inférieurs, au vrai, sont suspendus, les choses iraient ainsi en se compliquant et s’accordant, pour aboutir, avec l’individu, à une hiérarchie qui confère à l’ensemble toute la puissance et toute l’harmonie dont il est capable et, finalement, chez l’homme, à la liberté, créatrice à son tour, quand elle suit sa vocation, de beauté, de vérité et de bonté.


II

Si la science est, en partie, conventionnelle, œuvre constructive de l’esprit, il va de soi qu’elle ne l’absorbe pas plus qu’elle n’explique complètement les choses : elle laisse le champ ouvert à d’autres moyens de connaître.

On pressent, d’après cela, la solution que M. Boutroux apportera à la question de savoir si la science moderne laisse subsister la philosophie ou si, au contraire, son développement condamne la spéculation philosophique à disparaître ; question que, avec sa conscience ordinaire, M. Boutroux prend à pied d’œuvre dans un article de la Revue Bleue du 30 juillet 1904 pour la reprendre, en avril 1911, au Congrès de Bologne.

Chez les Grecs, science et philosophie ne faisaient qu’un, la philosophie comprenant la science, qui était l’esprit se retrouvant, je veux dire se reconnaissant dans les lois de la nature. C’est en se séparant de la souche commune que les diverses sciences conquirent leur autonomie. Autonomie bien éphémère, puisque.