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dans une certaine mesure. Conformément à l’opinion de Ravaisson, la répétition n’aurait-elle pas, en effet, quelque analogie avec l’habitude dans laquelle se dégrade et se fixe toute spontanéité ? C’est l’avis de M. Boutroux, dont on ne pourrait mieux figurer l’idée qu’il se fait de la science que par une série de courbes concentriques formées de lois d’autant plus intelligibles, et, par suite, conventionnelles, qu’elles sont plus éloignées du centre ou noyau psychique, duquel tout le reste dériverait à l’exemple de l’habitude qui en représente le résidu.

Vus du dehors, l’instinct des animaux, la vie, les forces physiques et mécaniques n’apparaîtraient nécessaires que parce qu’elles sont des habitudes devenues presque insurmontables pour avoir envahi la spontanéité de l’être. Mais leur nécessité ne serait qu’accidentelle. Au fond des choses, M. Boutroux discerne un principe tout psychique de création et de changement. La vie, aussi bien, ne se réduit pas à un ensemble de fonctions observables. C’est une puissance interne, dont la matière brute elle-même n’est pas totalement dépourvue. Et au fur et à mesure qu’on s’élève des couches les plus basses aux règnes supérieurs, cet élan des êtres vers quelque chose d’imprévisible et qui les dépasse prend plus de force et d’importance, jusqu’à s’épanouir en liberté chez l’homme, cependant que la stabilité des habitudes diminue et, par suite, l’assurance, comme la fixité, des lois qu’elles justifient. De fait, l’hérédité, ni le caractère ne sont fatals dans l’humanité. La même volonté, qui s’est façonné une habitude, peut la défaire ou s’en servir pour des ascensions nouvelles. Mais, ce n’est pas tout : dans ses rapports avec l’univers, l’homme n’est pas passif ; il peut agir, mettre sa marque sur ce qui l’entoure, se servir des lois de la nature pour créer des œuvres qui lui survivent. Sa supériorité, à en croire la philosophie de la contingence, n’est plus figure ou utopie. La spontanéité doublée de réflexion, en quoi consiste la liberté, permet, en effet, à l’homme de se surmonter, de réaliser le bien qu’il entrevoit comme un devoir. Tout de même que des activités spontanées, dont est composée la nature, dérivent, comme autant de coutumes, les répétitions de phénomènes que la science enregistre, de l’effort humain, que promeuvent les plus grands, c’est-à-dire les plus libres d’entre les hommes, découlent, à titre également d’habitudes, la civilisation, les sciences, les lettres, les arts, la morale et la