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avoir assisté à la création. Aussi bien, Descartes a-t-il pu négliger en mécanique la notion de force, qui, — définie, de nos jours, le produit de la masse par l’accélération, — consiste, exclusivement, dans un rapport. Comment, au surplus, observer un mouvement uniforme et rectiligne que réaliserait un mobile soustrait à toute action étrangère ? Simple définition au même titre que la composition des forces, qu’on ne saurait, à aucun degré, constater. De même, bien qu’elles se rapprochent plus des faits, les lois de la physique et de la chimie ne coïncident point avec eux. L’énergie, cette force qui se conserverait en quantité constante dans l’univers tout en changeant de nature et en diminuant de qualité, ainsi que l’énonce le principe de Clausius, — la chaleur ne reconstituant jamais intégralement le travail dont elle est issue, — cette force n’est qu’un symbole. Aussi bien, le principe de sa conservation se borne à stipuler que, dans un système fermé, quelque chose persiste. Qu’est d’autre, encore, l’atome, ce morceau d’étendue indivisible et dénuée de qualité sur quoi est fondée la chimie moderne ? Jusque dans les sciences de la vie, l’acte réflexe n’est-il pas une abstraction ? Et qu’est-ce que le mécanisme des fonctions, quand on le distrait de la fin qu’elles poursuivent ? L’évolution elle-même ne constitue-t-elle pas qu’un cadre dont la commodité fait tout le mérite ? Que sont, enfin, les faits sociaux, par lesquels les sociologues entreprennent l’examen des sociétés, sinon une convention toujours ? Conventionnelles apparaissent, ainsi, les sciences même les plus expérimentales. Dans l’induction, du reste, qui est leur unique instrument, M. Boutroux dépiste l’artifice. Il le dénonce dans une précision que nos moyens d’investigation nous empêchent, en vérité, d’atteindre ; dans les relations définies entre phénomènes que nos lois établissent, alors que l’expérience nous en présente une infinité, et, finalement, dans leur universalité que nous étendons à l’avenir quand nous ne connaissons du passé qu’une partie tout à fait infime. Il n’est pas jusqu’à la causalité qui ne révèle une façon propre à l’esprit d’interpréter la succession.

Est-ce à dire que M. Boutroux taxe la science d’arbitraire ? Ce n’est point là sa pensée. Il ne pousse pas aussi loin que M. Édouard Le Roy, ni même que M. Henri Poincaré, son caractère conventionnel. Il considère bien les lois scientifiques comme empreintes de conventions, mais de conventions en accord avec