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les uns les autres et font partie d’un courant, que M. Boutroux a discerne bien avant William James, les états de conscience se refusent à être morcelés, comme l’a essayé l’associationnisme, à l’instar de dominos que relierait une chaîne infrangible. Ils ne s’appellent pas les uns les autres indépendamment de l’activité psychique dans laquelle ils plongent. Point de causalité entre eux : un sentiment, une idée ne trouvent jamais dans leurs antécédens psychologiques leur explication intégrale. C’est que la spontanéité forme le fond des âmes pour s’épanouir en liberté avec la réflexion, qui offre le choix entre plusieurs partis. Sans doute, avoue M. Boutroux, c’est toujours le motif le plus fort qui l’emporte, et de ceci les déterministes ne manquent pas de triompher. On oublie seulement qu’il ne doit sa prépondérance qu’à son élection par le vouloir. Les déterministes protestent en vain que la volonté élit toujours le mobile qui la sollicite le plus. Dans l’impuissance de le prouver, pourquoi ne pas s’en tenir à notre personnelle expérience, qui n’est pas sans nous convaincre d’avoir donné, parfois, la prééminence aux tendances les plus faibles ? D’ailleurs, insiste M. Boutroux qui se rencontre avec M. Bergson, la volonté est si peu déterminée par les motifs qu’elle en est l’ouvrière. Quant à expliquer la spontanéité même par un principe dynamique immuable, il n’y faut pas songer : on ne peut faire rentrer tous les actes de l’homme dans une formule.

Ainsi, la nécessité ne se rencontre nulle part : telle est la conclusion à laquelle arrive M. Boutroux. Ce qui en fait figure est la permanence ou répétition de quelques phénomènes, qui, supposée éternelle par la science, ne demeure pas invariable, mais contingente. Elle n’est, à proprement parler, que la constance même de certaines variations.

Purement statistiques, par conséquent, les lois scientifiques n’atteignent jamais et, a fortiori, n’enchainent ni le fond, ni l’essence. Malgré leur prétention, qui vient de l’ambition de l’esprit humain à saisir quelque chose de fixe dans l’écoulement universel, leur rôle ne consiste qu’à enregistrer des répétitions qui n’ont rien d’immuable, mais qui font d’autant plus illusion qu’elles portent sur des ensembles plus considérables : nous percevons l’usure du rocher, celle de la montagne nous échappe. Les sciences les plus générales, telles que la mécanique, ne semblent rigoureusement exactes que parce qu’elles négligent le