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physiques par l’absence d’unité de mesure biologique, on est obligé de reconnaître que la variabilité est, non moins que la permanence, une loi de la vie. Les êtres vivans, individus et espèces, évoluent, progressent ou déchoient, s’adaptent à leur milieu, se croisent et, d’après Hugo de Vries qui est partisan des mutations brusques, changent sans raison, on pourrait presque dire pour changer. Herbert Spencer, il est vrai, a voulu voir dans l’évolution même une loi mécanique qui présiderait au changement, les transformations les plus profondes devant apparaître comme déterminées si l’on connaissait leurs conditions. Nécessité et changement demeurent inconciliables. « Trouver les formes intermédiaires qui établiraient entre tous les êtres de la nature une gradation insensible, ce serait déterminer le mode d’action du principe de perfectionnement, fait observer M. Boutroux, ce ne serait pas ramener le perfectionnement à l’immobilité, les formes supérieures aux formes inférieures. » Aussi bien, une loi qui expliquerait l’évolution devrait préexister à l’événement, ce qui est la négation même de l’idée de loi scientifique.

Comment, par ailleurs, les sentimens, les idées, les résolutions, la vie intérieure de l’homme seraient-ils régis par des lois nécessaires ? La psycho-physique et la psycho-physiologie réunies ont échoué à trouver un équivalent mécanique des phénomènes psychiques. Si le mouvement ne se transforme pas en qualités physiques, encore moins se transforme-t-il en états de conscience ! Il n’existe pas de parallélisme entre les faits physiologiques et les faits consciens pour cette raison péremptoire que, de tous, ces derniers sont les plus réfractaires à l’unité de mesure, l’élément simple, qui se combinerait avec lui-même pour les composer, étant introuvable.

Le monde de l’âme ne saurait, par suite, être envisagé comme une doublure du monde matériel. La disproportion, en vérité, n’est-elle pas extrême entre des actes qui ont dépensé à peu près la même somme d’énergie physique et consumé un semblable poids de carbone, comme, par exemple, de peindre un chef-d’œuvre ou de perpétrer un assassinat ? Entre les phénomènes psychiques et les phénomènes nerveux, dont ils seraient la reproduction interne, il y a un abime. Si nous passons, maintenant, à l’examen des lois psychiques proprement dites, on est contraint d’avouer leur insuffisance. Parce qu’ils se pénètrent