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à une qualité homogène ou abstraction faite de toute qualité. Il ne s’applique pas exactement, en fin de compte, aux choses réelles, qui possèdent un fond inépuisable de vie et de changement. En fait, l’expérience ne nous montre nulle part des ensembles mécaniques parfaitement stables : « Les révolutions mêmes des astres, qui paraissent si uniformes, n’ont pas de périodes absolument identiques. »

Et plus on gravit l’échelle des êtres, moins la nécessité paraît absolue. Plus encore que les lois mécaniques, les lois physiques et chimiques énoncent des rapports entre choses tellement hétérogènes qu’on se trouve dans l’impossibilité d’assurer que le conséquent est, non pas même égal, mais proportionnel à l’antécédent ou qu’il en résulte comme l’effet de sa cause. Nous ne percevons que des successions de phénomènes ; jamais de production effective. Nous voyons bien une barre de fer rougie au feu s’allonger ; nous ne voyons pas le feu dilater le métal, je n’ose dire à l’œuvre. Les partisans du déterminisme ont beau arguer d’un parallélisme absolu entre les phénomènes physiques et les phénomènes mécaniques : tandis que le mouvement est susceptible de changement continu, il n’en va pas de même des transformations physiques ou chimiques. Quels sont les intermédiaires entre l’état électrique des pôles de la pile et l’état lumineux du charbon ? Une équivalence rigoureuse est inintelligible, de sorte que rien ne nous empêche de croire que la quantité d’action physique puisse augmenter ou diminuer dans l’univers. « N’est-ce pas, en effet, ce qui semble s’être produit à travers les siècles, demande M. Boutroux, s’il est vrai qu’une matière cosmique élémentaire, presque aussi uniforme que l’espace lui-même, s’est peu à peu agrégée pour former des astres doués de lumière et de chaleur ; et que du sein de ces astres est sortie une variété infinie de corps, de plus en plus riches en propriétés physiques et chimiques ? N’est-ce pas, en sens inverse, ce qui semble se produire sous nos yeux, s’il est vrai que certains systèmes stellaires perdent peu à peu leur éclat et leur chaleur, et marchent vers une dissolution qui les fera retourner à l’état de poussière indistincte ? »

Au fur et à mesure qu’il porte ses regards sur des êtres plus relevés, M. Boutroux s’aperçoit que la nécessité recule devant la contingence. C’est ainsi que, faute de trouver une correspondance exacte entre les phénomènes physiologiques et les phénomènes